Sortir du Brexit : feuille de route

, par Juuso Järviniemi, Traduit par Lorène Weber

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Sortir du Brexit : feuille de route
Du panneau « Exit » au panneau « stop » ?

Un article précédent du New Federalist développait la possibilité d’une sortie du Brexit. Dans le scénario imaginé, l’opinion publique britannique changeait et souhaitait rester dans l’Union européenne. L’article avançait ensuite qu’aucun des accords potentiels permettant au Royaume-Uni de rester dans l’UE ne serait acceptable à la fois par l’UE et par l’opinion publique britannique. A l’évidence, la moitié de l’argumentation se base sur une erreur de logique : même si l’opinion publique britannique changeait en faveur de l’appartenance à l’UE, cela ne favoriserait pas pour autant cette appartenance.

La possibilité d’un éventuel changement de l’opinion publique au Royaume-Uni dépend de quel côté vous posez la question. Un pro-Brexit vous dira que cela n’arrivera pas parce que le Brexit sera glorieux ; un pro-Remain vous dira que, comme la livre continue à chuter, l’opinion se rendra à l’évidence. En tant que pro-Européen vivant et donc inévitablement faisant campagne au Royaume-Uni, et comme quelqu’un n’en ayant pas encore eu assez des experts, je veux croire à la seconde option. Il y a quelques mois, j’écrivais dans le New Federalist qu’un Remain induit par un véritable changement de l’opinion publique britannique serait le meilleur scénario pour le Royaume-Uni et pour l’Europe. Le chemin est encore long pour arriver à une sortie du Brexit, et beaucoup de choses doivent encore arriver pour que le Remain devienne réalité. Néanmoins, une feuille de route existe déjà, et devient progressivement plus facile à lire.

Un parlement sans majorité et un appel à repenser

J’ai eu l’occasion d’assister à des conférences publiques d’Alyn Smith, l’eurodéputé du Scottish National Party (Parti national écossais) célèbre pour son discours « Ne laissez pas tomber l’Ecosse maintenant », et de Willie Rennie, le chef des libéraux-démocrates écossais. Tous deux ont explicitement appelé à un second référendum sur le Brexit après qu’un accord sur les termes du départ ait été trouvé – pour que le public ait le dernier mot sur l’accord. Un soutien en faveur d’un second référendum a également récemment émergé parmi les grandes figures du Parti travailliste, comme Kezia Dugdale qui était jusqu’à récemment à la tête du Parti travailliste écossais, qui s’est exprimée en faveur de l’idée, et Sadiq Khan, le maire de Londres, qui laisse la porte ouverte à cette éventualité.

Tout cela est très significatif. Si la minorité conservatrice au gouvernement s’effondre et que le Royaume-Uni se dirige vers des discussions pour former un nouveau gouvernement ou vers une élection législative, l’ambivalence du Parti travailliste combinée à une position claire des libéraux-démocrates et du SNP pourrait bien ouvrir la voie à un gouvernement britannique embrassant l’idée d’un second référendum. Il est tout à fait imaginable qu’après une nouvelle élection législative, il y ait un parlement sans majorité, [1]dans lequel le Parti travailliste aurait les meilleures chances de former un gouvernement. Selon une enquête YouGov menée entre le 22 et le 24 septembre, le Labour gagnerait 43% des voix à l’élection législative, contre 39% pour les Conservateurs. En comparaison, à l’élection de juin dernier ayant abouti à un parlement sans majorité, les Conservateurs ont battu les Travaillistes avec 36.8% des voix contre 30.4%.

Ce qui pourrait arriver serait que les libéraux-démocrates et le SNP demandent un second référendum comme condition à leur soutien à un gouvernement travailliste. Jeremy Corbyn, le chef du Parti travailliste, qui s’est montré récalcitrant à l’idée même de rester dans le marché unique, pourrait représenter un obstacle à ce scénario. Cependant, accepter une demande appuyée par beaucoup au sein de chaque parti pour entrer au 10 Downing Street [2] – une perspective lointaine pour Corbyn il y a seulement deux ans – est loin d’être le pire accord à proposer à un politicien britannique en ce moment.

Un second référendum : concessions, approbation et adhésion

L’étape suivante serait naturellement le référendum en lui-même. Le coût d’un revirement du Royaume-Uni sur le Brexit après tout ce qui a été expérimenté depuis 2016 a été anticipé. Alyn Smith a été interrogé sur les concessions que l’Union des 27 pourrait vouloir demander au Royaume-Uni en échange de son acceptation du retrait du déclenchement de la procédure de sortie de l’article 50. Il s’attendait à ce que les concessions concernent davantage les opt out britanniques sur les politiques comme la Justice et les Affaires intérieures que la zone euro ou l’appartenance à Schengen, ou encore le rabais britannique [3]. Les accords concernant ce rabais sont toujours conclus séparément des négociations du cadre financier pluriannuel de l’UE, et ne seraient donc pas traités dans ce contexte, tandis que l’euro et Schengen seraient des questions politiques trop sensibles, pour plusieurs raisons. Idéalement, toute concession demandée au Royaume-Uni serait évidemment portée à la connaissance des électeurs avant qu’ils se rendent aux urnes pour donner leur opinion sur l’accord du Brexit. Il faut aussi espérer qu’on ne mente pas au public en lui disant qu’une des concessions est de donner 350 millions de livres par mois à l’UE.

Comme Willie Rennie l’a avancé, le Royaume-Uni a à présent "vu le côté obscur". Après ce que le pays a vécu depuis le référendum, et ce qu’il a encore à vivre, la raison devrait dicter au Royaume-Uni de saisir l’opportunité de rester dans l’UE. Selon le sondage YouGov précité, 45% des interrogés pensent, a posteriori, que voter pour sortir de l’UE était une erreur, et 44% pensent que c’était le bon choix.

Comme le montre le sondage sur le Brexit, le Royaume-Uni demeure un pays plus divisé que jamais, et même un second référendum ne réglerait pas la question pour de bon (en particulier si Nigel Farage se lance dans une insurrection violente). Cependant, si le Royaume-Uni choisissait de rester dans l’UE lors d’un second référendum, au moins serait-il un pays divisé qui, informé par un avant-goût de ce à quoi le Brexit pourrait ressembler, aurait donné mandat au Remain par un plébiscite plus récent. Ce serait également un pays qui a finalement choisi d’écouter les experts. D’un autre côté, si les pro-Remain perdaient le second référendum, les caricaturistes politiques du continent auraient une source d’inspiration pour des semaines. Et après avoir déploré cela quelques temps, les pro-Européens renaitraient de leurs cendres et continueraient à défendre l’Europe – et ce sans « prendre les armes » [4].

Notes

[1Un parlement sans majorité fait référence à une situation dans laquelle aucun parti ne peut former de majorité seul, mais doit compter sur le soutien d’autres partis pour former une coalition ou un autre accord.

[2Note de la traductrice : le 10 Downing Street, à Londres, est la résidence du Premier ministre du Royaume-Uni.

[3Note de la traductrice : le rabais britannique ou « chèque britannique » est le nom donné au rabais accordé à la contribution du Royaume-Uni au budget de l’Union européenne.

[4Note de la traductrice : référence aux propos de Nigel Farage qui a menacé de « prendre les armes » si le Brexit ne se produisait pas.

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