Le soft power européen : un atout en cours de développement

, par Adeline Papaianni, Le Courrier d’Europe

Le soft power européen : un atout en cours de développement
Affiche promouvant le tourisme à Venise, l’une des principales places touristiques d’Europe. © Pixabay

La notion de « soft power » est communément perçue comme étant du ressort d’un État indépendamment des autres. Pourtant, l’idée d’un « soft power européen » est aujourd’hui répandue parmi les politologues et géopoliticiens mais toujours contestée par une partie du grand public, l’UE serait-elle parvenue à transmettre au reste du monde l’image d’une union de nations homogène ?

L’origine de la théorie du soft power “européen”

L’un des pères fondateurs de l’Union européenne, Robert Schuman a écrit dans son ouvrage Pour l’Europe « l’Europe, avant d’être une alliance militaire ou une entité économique, doit être une communauté culturelle dans le sens le plus élevé de ce terme ». Le soft power est une notion développée par le théoricien et politologue Joseph Nye. pour ce dernier, il s’agit du pouvoir d’influence qu’exerce un État sur les autres par des moyens non coercitifs comme la culture, la diplomatie ou les institutions. Il s’oppose donc au hard power qui est, toujours selon Joseph Nye, l’usage par un État de sa puissance militaire ou de sanctions économiques pour imposer sa domination ou défendre ses intérêts. Le soft power est ainsi un concept qui relève de la stratégie culturelle et commerciale de chaque pays.

La France par exemple, consciente de l’atout que revêt son rayonnement culturel à l’internationale, a développé depuis 1883 un réseau d’Alliances françaises dans le monde entier. En 140 ans, plus de 800 Alliances françaises ont ouvert leurs portes pour diffuser et enseigner la culture et la langue françaises à l’étranger.

Le soft power apparaît alors comme un concept qui revêt par définition, de la volonté de chaque État. La culture est l’ADN d’un pays, ce qui contribue majoritairement au sentiment d’appartenance de ses habitants.

Mais comment peut-on alors parler de soft power européen ? L’Union européenne a tout intérêt à jouer ses cartes du côté du soft power, en effet l’un des piliers moteur de la construction européenne est la défense de valeurs communes, en tête la démocratie et les droits de l’homme.

La « puissance normative » de l’UE : un atout clé pour se maintenir face aux acteurs économiques internationaux

Le concept de « l’Europe comme puissance normative » a été développé par Ian Manners, un universitaire britannique spécialisé dans les relations internationales. Il a exploré comment l’Union européenne (UE) exerce son influence en tant que puissance non seulement économique et politique, mais aussi normative, en promouvant ses valeurs, normes et pratiques dans les relations internationales.

Un exemple. En 2016, le Parlement européen ainsi que le conseil votent le règlement du RGPD (règlement général sur la protection des données) entré en vigueur deux ans plus tard. Ce dernier vise à encadrer la protection des données des résidents de l’UE. Ce règlement est une victoire pour la diplomatie européenne, preuve que cette dernière peut s’imposer face aux géants GAFA, principaux acteurs économiques et technologiques internationaux.

La capacité de l’UE à imposer ses lois hors de ses frontières est connue également sous l’appellation d’ “effet de Bruxelles”. Ce phénomène est remarquable tant il est rare que l’UE s’impose face aux États Unis. Ces derniers s’étaient opposés au protocole de Kyoto, au statut de Rome instituant la Cour Pénale internationale et retirés des accords de Paris sous Donald Trump. Autre exmple, et toujours dans le domaine des nouvelles technologies, l’UE a imposé le chargeur unique depuis le vote du 7 juin 2022. Le texte sera appliqué fin 2024 imposant à Apple, entreprise américaine, le port type USB-C pour accéder au marché européen.

Avec plus de 400 millions de consommateurs potentiels, l’UE pèse dans les décisions internationales commercialest. Cela constitue un volet fondamental dans le soft power européen, ce dernier reposant sur sa population plutôt aisée au regard de la situation mondiale.

Erasmus : la naissance du sentiment d’appartenance commun à l’UE

L’une des manifestations les plus tangibles de la volonté d’instaurer au sein de l’Union un sentiment d’appartenance à une communauté est probablement le programme Erasmus. Il s’agit là d’un élément crucial pour le développement du soft power en Europe.

Erasmus est lancé en 1987 et avait déjà pour projet d’encourager les échanges universitaires entre les pays membres, pour renforcer l’unité européenne. Les étudiants ont ainsi eu l’opportunité d’étendre le champ de leurs expériences à l’étranger en découvrant l’étendue des territoires européens. Ce programme a égélement contribué grandement à la connaissance des autres cultures européennes par les Européens eux-mêmes. Le succès fut tel que d’autres pays s’en inspirent ailleurs dans le monde. Citons par exemple, le programme d’échange universitaire en Asie-Pacifique (ASEP), lancé en 1997 par l’Association des universités de l’Asie du Sud-Est (AUN) pour promouvoir la mobilité étudiante entre les pays de l’ASEAN. L’ASEP est le premier programme d’échange régional dans la région. De même, d’autres régions du monde ont mis en place des programmes similaires, tels que le programme Fulbright aux États-Unis, le programme Chevening au Royaume-Uni, le programme DAAD en Allemagne, et bien d’autres.

L’impact d’Erasmus a été si significatif qu’il est souvent considéré comme le pionnier des programmes d’échange internationaux et a servi de catalyseur pour le développement de programmes similaires à travers le monde. Il a montré les avantages de la mobilité étudiante et de la coopération académique dans la construction d’une société mondiale plus ouverte, inclusive et interconnectée.

Enfin, en 2014 est lancée une version plus ambitieuse d’Erasmus : Erasmus+. Celui-ci ouvre les portes du programme hors des frontières européennes et élargit ses compétences à l’éducation et la formation au sens large.

Le rayonnement de l’Europe : foyer culturel et intellectuel

L’Europe est le continent le plus attractif pour les touristes internationaux. En 2017 le continent réunissait la moitié du tourisme mondial, soit 650 millions de personnes selon l’Organisation mondiale du tourisme (OMT). Ces chiffres s’expliquent par la richesse culturelle et naturelle en Europe.

Parmi ces nombreux touristes, l’immense majorité étaient Européens, ils étaient en effet plus de 600 millions. Les voyages intra-européens sont très fréquents en raison de la proximité géographique, des accords de libre circulation dans l’espace Schengen et de la diversité des destinations attrayantes en Europe. Les Européens sont donc le premier moteur de l’activité touristique en Europe.

Mais l’Europe peut aussi compter sur son rayonnement international pour attirer des globe-trotteurs d’autres régions. C’est ici qu’intervient l’importance des symboles, des incontournables à visiter sur le continent. On pense notamment à la Sagrada Familia à Barcelone, le Colisée à Rome, l’Acropole à Athènes ou la tour Eiffel à Paris.

L’importance du tourisme pour l’économie varie d’un pays à l’autre, en 2019 l’OMT estimait que le tourisme représentait en moyenne 10% du PIB en Europe. La situation post-covid renforce le rôle du tourisme dans le redressement des économies comme le relève l’édition 2022 du rapport ‘World Economic Situation and Prospects’ (Situation et perspectives de l’économie mondiale) établi par l’ONU.

En somme, le soft power européen est donc bel est bien une réalité dont ont pris conscience les institutions de l’UE. Même si de prime abord, la formule peut sembler exclusive à un usage national, les États membres sont plus forts en coopérant ensemble, pour être en mesure de faire concurrence aux géants chinois et états-uniens. Le rôle de l’UE en matière de culture est clair : elle accompagne notamment les politiques culturelles des pays, crée un environnement commercial et fiscal propice à leur développement, encourage la coopération culturelle entre les pays, et les aide à conserver leur patrimoine. Joseph Nye affirme d’ailleurs au sujet de l’Europe que « le soft power de l’Union européenne ne doit pas reposer sur la création d’une nouvelle culture, mais plutôt sur le constat de la dimension déjà transnationale de la culture européenne. »

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom