Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

De la nécessité de mettre fin au système westphalien

, par Ferghane Azihari

Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

Afin de tenter de rationaliser la haine du projet européen, les nationalistes français ont tendance à confondre celui-ci avec la promotion d’une économie de marché capitaliste dite « sauvage » qui ne profiterait qu’aux puissants au détriment des plus faibles. Outre la question des conséquences vertueuses ou déplorables du système capitaliste, il est vrai que la construction européenne a dès ses débuts été instrumentalisée par les gouvernements européens pour servir le libre-marché notamment contre l’URSS et donc dans une perspective atlantiste conformément à la logique de la Guerre Froide.

Cette instrumentalisation est justement rendue possible par le caractère trans-partisan de l’idée européenne et du post-nationalisme, ce qui signifie que le projet européen peut être récupéré par d’autres idéologies conformément au pluralisme et au principe majoritaire. Mais il faut s’empresser d’énoncer que ce n’est pas le cas du national-souverainisme dont la confusion avec le capitalisme est absolue. C’est ce que rappelle Susan Strange, l’une des fondatrices de l’économie politique internationale dans un article célèbre qui se nomme « the Westfailure system ».

Qu’est-ce que le système westphalien ?

Susan Strange le décrit de la manière suivante : « Le système peut brièvement être défini comme celui au sein duquel l’autorité politique est dévolue à des institutions appelées « États », revendiquant le monopole de la violence légitime au sein de leurs frontières respectives. Il prétend reposer sur le contrôle mutuel (la non-ingérence) ; mais se base également sur la reconnaissance réciproque de la souveraineté d’un État dans le cas où celle-ci viendrait à être contestée. » Autrement dit, le système Westphalien repose sur la consécration et la suprématie de la souveraineté étatique, qu’il s’agisse de ses dimensions internes ou externes. Or pour Susan Strange, il est indissociable à l’économie de marché capitaliste que les États européens ont commencé à aménager au 17ème siècle. On rappellera au passage que l’Union européenne n’existait pas encore à ce moment là. L’économie de marché capitaliste, si elle peut être encouragée par le post-nationalisme, peut également se passer de celui-ci pour exister contrairement à son antithèse, le national-souverainisme.

Pourquoi le capitalisme se nourrit-il du national-souverainisme et réciproquement ?

Parce que le système Westphalien consacre le caractère absolu des souverainetés nationales, il met en place un système international anarchique au sein duquel les États sont les garants exclusifs de leur sécurité et de leurs souverainetés respectives. Il en découle une compétition acharnée pour l’accumulation du capital, une accumulation au service de la recherche d’une puissance que nul ne peut se permettre de limiter au risque de céder la position hégémonique à des entités rivales potentiellement dangereuses. L’existence de cet état de nature, non rousseauiste mais plutôt hobbesien ou spinozien est le postulat d’une école de pensée influente en relations internationales : l’école réaliste. L’enrichissement des États devient ainsi une fin en soi ou plutôt un moyen de ne pas faire partie des plus faibles, allant parfois jusqu’à justifier l’aliénation des individus, la remise en question des modèles sociaux voire le dédain pour les considérations environnementales au profit de la seule cause marchande, dénaturant ainsi la finalité initiale du libéralisme économique : l’émancipation et la réalisation de l’humanité des individus. Joseph Stiglitz appelle ce phénomène « le fondamentalisme marchand ». Comme quoi il n’est pas requis de partager les prérequis marxistes pour admettre cet état de fait. Le système westphalien n’est par conséquent pas soutenable et doit céder sa place.

Le post-nationalisme comme alternative à l’état de nature westphalien

Le post-nationalisme est un paradigme qui admet que la Nation n’a plus vocation à être le cadre exclusif de l’exercice de la démocratie qui par ailleurs est universelle. Sa mise en place effective permettrait dans un premier temps la reconnaissance de nouveaux acteurs issus de la société civile et la nécessité de mieux les associer au processus décisionnel afin de briser le monopole politique de l’État. Les individus deviendraient moins dépendants des structures étatiques tout en s’appropriant de nouveaux outils au service de la liberté, ce qui conforte in fine son universalité et donc l’idéal démocratique. On peut même se demander si la société civile ne devient pas un acteur incontournable sur un certain nombre de dossiers clefs comme l’environnement, complétant ainsi l’action d’États souvent défaillants en ce que ces derniers n’arrivent plus à se projeter sur le long terme en raison de leur servitude inhérente au système westphalien. Le post-nationalisme permettrait dans un second temps de mettre fin à l’anarchie internationale grâce à une transposition du constitutionnalisme (démocratie, primauté du droit et droits de l’homme) aux échelles continentales et globales sans nécessairement s’encombrer du formalisme étatique. Cette méthode serait au service d’une autre approche des relations internationales fondée sur le rapport de force juridique, la régulation et la norme plutôt que sur les logiques de puissances économiques et militaires qui nourrissent le fondamentalisme marchand. C’est pourquoi déplorer les effets néfastes du capitalisme tout en s’opposant aux constructions politiques post-nationales relève de l’imposture. Les nationalistes vont devoir trouver d’autres arguments pour rationaliser leur haine du cosmopolitisme.

Vos commentaires
  • Le 16 avril 2014 à 22:27, par Loinvoyant En réponse à : Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

    Il me semble que la compétition entre les Etats dans un système Westphalien, qui est une compétition pour la puissance quelle que soit sa forme (économique et financière, culturelle et technologique, militaire...) n’est pas contraire à une organisation interne non libérale (au sens économique du terme) voir non capitaliste.

    L’enrichissement des Etats n’est pas que marchand. Par conséquent, la structure de l’organisation d’un Etat (qui est un but en soi puisque cela défini le mode de vie de sa population, ce qui est un des principes de l’organisation politique) n’est pas aveugle à des considérations non marchandes, notamment sociales.

    En outre, toute atteinte à l’hégémonie du système post-national que vous évoquez par une entité nationale répondant à la logique westphalienne verrait un avantage (ne serait-ce que d’un simple point de vue organisationnel) considérable être accordé à l’Etat westphalien, précisément parce qu’il est dans un système compétitif conçu pour lutter contre d’autres forces que celles, internes, qui le gouvernent.

  • Le 16 avril 2014 à 22:40, par Ferghane Azihari En réponse à : Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

    @Loinvoyant

    Merci pour votre commentaire...mais :

    Sans argent, un Etat ne fait rien. L’éminent universitaire Maurice Hauriou énonçait la chose suivante : les Finances Publiques sont l’élément le plus important de la chose publique. C’est la richesse pécuniaire qui permet à un État d’élaborer et d’exécuter toutes les politiques qu’il souhaite...qu’elle soient militaires, technologiques ou autres..

    Ensuite, je ne dirais pas que l’État est une fin en soi. L’État n’est qu’un outil dont le but premier est de garantir le vivre-ensemble, c’est-à-dire les libertés individuelles. Dès lors que ces libertés peuvent être garanties sans lui, il n’a donc plus aucune raison d’être.

    Ensuite n’ayant pas très bien compris votre dernier paragraphe, je ne me sens pas capable d’y répondre.

  • Le 16 avril 2014 à 23:24, par Loinvoyant En réponse à : Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

    @Ferghane Azihari (quelle célérité !)

    Tout d’abord,

    L’argent, bien sûr, est le nerf de la guerre ; cependant, l’outil économique (et a fortiori monétaire) n’arrive pas à quantifier de manière effective l’intégralité des rapports. Le concept même d’externalités (positives ou négatives) traduit bien l’incapacité du seul outil marchand à traduire certaines données. Ainsi, l’importance géostratégique de la Russie est bien plus considérable que ne le laisserait supposer ses, par ailleurs, piètres performances économiques.

    Ensuite,

    L’Etat n’est, en effet, pas une fin en soi, en revanche son mode de fonctionnement en un principe d’organisation politique. Une situation dans laquelle l’Etat (quelle que soit sa taille ou son organisation) deviendrait inutile suppose que toute organisation politique à pour objectif fondamental la garantie des libertés individuelles (croyance que je partage mais qui n’est pas universelle).

    Enfin,

    Le système post-national que vous évoquez semble supposer la disparition ou la non-existance de toute organisation politique de type étatique hostile au mode d’organisation que vous prônez. Or, tout Etat opposé à une organisation post-nationale bénéficie d’un avantage (en terme de rapport de force), précisément parce que le système westphalien repose sur une logique de rapport de force. Pour prendre un exemple d’actualité même si je suis bien conscient des limites de l’exercice : La Russie veut prendre la Crimée (en gros), l’Union Européenne souhaite qu’elle ne le fasse pas (toujours de manière simplifiée) : la Russie envahie la Crimée militairement, l’union européenne semble incapable de réagir. Et ce n’est certainement pas à grand coup de rapport de force juridique (qui ne me semble être qu’un dérivé du rapport de force culturel) ou de normes qu’elle pourra changer quoi que ce soit à cet état de fait.

    Celui qui refuse l’accord post-national et se concentre sur le rapport de force bénéficie d’un avantage car il pourra toujours faire dégénérer le litige en rapport de force.

  • Le 17 avril 2014 à 00:08, par Ferghane Azihari En réponse à : Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

    Partie 1 de la réponse

    D’abord,

    L’importance géostratégique de la Russie n’est pas indépendante des considérations marchandes. Bien au contraire. On craint cette puissance justement parce que ses exportations d’énergies paraissent vitales. Il y a donc bel et bien des considérations marchandes. Là où il faut peut être corrigé ce que j’ai dit, c’est que la puissance marchande ne dépend pas toujours des considérations pécuniaires.

    Ensuite,

    La liberté individuelle est belle et bien pourvue d’une portée universelle en ce que quoi qu’on en dise, l’individu est la seule unité physique pourvue d’une conscience propre. C’est aussi un concept universel en ce qu’il découle de la raison humaine, ce qui explique qu’il ait pu s’émanciper de la civilisation occidentale pour gagner le monde. On rappellera que l’Etat bureaucratique moderne n’a pas une histoire très longue à l’échelle de l’histoire universelle. De même que beaucoup de collectivités humaines ne sont pas organisées selon le modèle étatique. L’Union européenne est un exemple parmi d’autres ;)

    Enfin,

    La mort du système westphalien, le post-nationalisme ne prône pas la disparition de l’État mais la fin de son monopole politique et de sa suprématie dans l’ordre international. Force est de constater que c’est de plus en plus le cas avec la montée en puissance de la société civile et des organisations internationales.

    Il est vrai qu’on pourrait penser que ce n’est pas dans l’intérêt immédiat des États les plus puissants de le prôner. Pourtant le « Westphalisme » (on me permettra ce néologisme :p) est en voie de disparition sur le continent européen du fait de l’intégration. Ce qui montre que même les Etats les plus puissants peuvent admettre la nécessité de renoncer à l’hégémonisme économiques et militaires, même si il n’a pas totalement disparu en Europe du fait de la gouvernance intergouvernementale.

  • Le 17 avril 2014 à 00:08, par Ferghane Azihari En réponse à : Le national-souverainisme anticapitaliste est une imposture

    partie 2 de la réponse : Evidemment le droit ne fait pas tout. Il faut inculquer une certaine culture constitutionnelle post-nationale pour que l’État qui détient le monopole de la coercition accepte de se soumettre à des normes qu’on ne pourrait pas le contraindre à appliquer, du moins en théorie. L’effectivité du modèle post-national suppose donc des prérequis culturels. Or je ne pense pas que ce soit difficile à inculquer. Après tout le droit européen n’est pas moins appliqué que le droit national en dépit du fait que l’Union n’a pas les prérogatives de puissance publique pour contraindre les États à appliquer son droit. De même que dans tous les régimes démocratiques, l’exécutif se soumet au législatif alors qu’il détient le monopole de la coercition. La soumission de la puissance coercitive vis-à-vis de l’autorité normative est donc parfaitement vérifiable dans le cadre de la séparation des pouvoirs et des « checks and balances » telle qu’elles existent dans toutes les démocraties ainsi que dans le cadre de la séparation verticale du pouvoir telle qu’elle existe dans l’union européenne en ce que celle-ci (qui est une autorité normative) voit ses normes globalement correctement appliquées en dépit de l’absence de puissance coercitive. Et oui, célérité, c’est mon second prénom :p

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