L’histoire des Jeunes Européens Fédéralistes, en bref

, par Tobias Flessenkemper, traduit par Thibaut Van de Velde

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L'histoire des Jeunes Européens Fédéralistes, en bref

Cet article a été publié dans un premier temps dans un article de The New Federalist en 1997, à l’occasion du 25e anniversaire de JEF-Europe, l’organisation supranationale des Jeunes Européens fédéralistes, éditeurs de ce site web.

25 ans est l’âge limite pour bénéficier de réductions dans les trains et les avions, si chers aux JEF. JEF-Europe soufflera ses 25 bougies le 25 mars 1997. Il est l’heure de faire le point sur le passé, mais également sur ce que l’avenir nous réserve. Sommes-nous prêts à payer le prix plein à l’avenir ? Le Taurillon souhaiterait commenter le passé ainsi que l’avenir de notre organisation préférée.

C’est aux alentours des années 1950 que les premiers groupements de jeunes fédéralistes ont vu le jour, avec la section « jeune » de l’Union des fédéralistes européens (UEF). Une fois la guerre terminée, l’UEF s’est opposée à la reconstruction d’un système d’États-Nations superpuissants en Europe. Ses membres ont même été jusqu’à brûler et détruire des postes frontière. Depuis lors, un nombre incalculable de manifestations, séminaires, rencontres, conférences, pétitions, actions et publications ont été mis en place à l’échelle européenne.

Ce sont plus particulièrement les jeunes qui ont joué un rôle déterminant dans ce mouvement. En 1949, les Jeunes Européens fédéralistes se sont organisés en sections JEF et ont mis sur pied la première structure européenne, avec un siège central européen basé à Paris. Mais alors, comment se fait-il que JEF Europe n’ait que 25 ans ?

Un objectif, deux manières d’y arriver ?

Dans les années 1950, la divergence d’opinions principale, qui eut une influence considérable sur JEF Europe, opposait les « gradualistes » aux « maximalistes ». Après l’échec de la Communauté européenne de Défense, les « gradualistes » ont embrassé le processus d’intégration fonctionnaliste de la CEE.

Pour leur part, les « maximalistes » ont lancé à cette époque une campagne afin de dénoncer un processus d’intégration découlant principalement de négociations intergouvernementales. Ils appelaient à la création d’une Assemblée constituante européenne. Une des conséquences fut la scission de l’UEF. Les « gradualistes », tels que l’Europa Union d’Allemagne et le Mouvement néerlandais, ont quitté l’UEF tandis que les « maximalistes » du Movimento Federalista Europeo italien et d’autres organisations en sont restés membres pour en faire un MFE supranational. À la suite de la scission du Mouvement fédéraliste européen dans les années 1950, l’Organisation internationale de la jeunesse s’est également effondrée. Les différents groupes ont continué leurs actions aux niveaux local régional et national. Des activités transnationales furent également organisées, même si l’organisation internationale des JEF n’existait pas encore.

En réaction à la crise d’intégration européenne des années 1960 principalement due à la politique de la chaise vide prônée par Charles de Gaulle, la stratégie fédéraliste a changé. Il était alors devenu évident que le caractère supranational de la Communauté était en danger. Par conséquent, les fédéralistes ont été les premiers à exiger que la Commission dispose de plus de pouvoir et que les traités communautaires soient pleinement mis en œuvre. Ce changement de stratégie a permis de rassembler de nouveau les fédéralistes et leurs organisations « jeunes ».

Les années 60 au rythme du swing

Déjà à cette époque, des jeunes venus des quatre coins de l’Europe commençaient à entreprendre des actions communes. C’est en 1967 qu’ils ont organisé des « simulations de négociations » à Bruxelles. L’idée était d’élaborer un traité d’adhésion du Royaume-Uni à la Communauté. Nous connaissons bien la méthode qu’ils ont utilisée : une simulation transnationale à grande échelle. En mars 1969, ils ont organisé une manifestation depuis les bancs des spectateurs du Parlement européen, exigeant que les membres de ce dernier soient élus au suffrage universel direct. D’après les sources, la manifestation fut tellement animée que la session en cours au Parlement dut être suspendue. Dans de nombreux pays européens, des manifestations furent organisées en protestation contre le coup d’État des colonels et la dictature en Grèce.

Ces activités ont aidé les premiers groupes de jeunes fédéralistes à collaborer étroitement et à resserrer à nouveau leurs liens. Cette collaboration s’est concrétisée lors de la création du bureau de liaison de JEF en 1970. On y décida de mettre en place une association internationale qui prit le nom de « Jeunes Européens fédéralistes ». Ils ont également décidé d’organiser un Congrès fondateur. Le congrès qui a donné sa forme actuelle à l’organisation se tint à Luxembourg les 25 et 26 mars 1972.

Les années 1970, de nouvelles méthodes sont testées

La raison expliquant la renaissance des JEF internationaux ne se limite pas au changement de stratégie du mouvement fédéraliste. Il faut également prendre en compte le contexte de l’époque : la culture et les mouvements des jeunes étaient en plein développement à la fin des années 1960 et début 1970. En mai 1968, des étudiants dressaient des barricades dans les rues de Paris. Dans la plupart des pays de l’Europe occidentale, les jeunes et les étudiants se révoltèrent contre la société existante. Ils demandaient plus de démocratie et les idées gauchistes, pour ne pas dire marxistes, devinrent très en vogue. Il était l’heure des réformes. On partageait le même sentiment de l’autre côté du « rideau de fer ». Mais le Pacte de Varsovie mit brutalement un terme au Printemps de Prague en 1968. D’une certaine manière, le mouvement des jeunes de la fin des années 1960 était paneuropéen, même si la situation de chaque côté du rideau était extrêmement différente. Alors que le Bloc de l’Est s’est embourbé dans des années de stagnation, les sociétés de l’Europe occidentale ont très rapidement connu des changements.

Les protestations des jeunes choquèrent tant les hommes politiques qu’ils commencèrent à réfléchir à la façon d’impliquer plus activement les jeunes dans la politique et dans la société. C’était l’époque où l’on fondait des centres de jeunes dans les villes, où de nouvelles formes de travail culturel étaient développées. Le développement complet peut être défini par les termes « activités socioculturelles ». De nouvelles formes d’apprentissage, hors des structures éducationnelles traditionnelles, ont été mises en place. On utilise d’ailleurs ces méthodes dans nos séminaires à l’heure actuelle : des jeux de simulations, des jeux de rôle, des jeux de confrontation et de consensus, des groupes de travail, etc. La participation active de la population est devenue de plus en plus importante et l’expression « apprentissage interculturel » s’est retrouvé sur toutes les lèvres, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Cependant, tous les responsables politiques n’avaient pas tous des intentions louables en soutenant les activités des jeunes. Il y a toujours un programme politique caché. Ils prétendaient soutenir ces activités dans le but de garder les jeunes sous contrôle en leur accordant une aide institutionnelle. Les responsables politiques ont encouragé le développement des organisations de la jeunesse. Et qui a déjà assisté à des discussions au sein d’une organisation de la jeunesse à propos des statuts et des règles de procédure savent que les disputes internes sont de très bons moyens pour garder ces jeunes sous contrôle.

Au niveau européen, le Conseil de l’Europe à Strasbourg a joué un rôle déterminant dans ce processus. Tous les pays d’Europe occidentale, excepté la Finlande, étaient, à cette époque, membres du Conseil de l’Europe. Et c’est là qu’on arrive à une « coïncidence » historique.

Alors que JEF-Europe acquérait sa forme actuelle, le Conseil de l’Europe établissait la Fondation européenne pour la Jeunesse (FEJ) et, peu de temps après, le Centre européen de la Jeunesse à Strasbourg. La Fondation européenne pour la Jeunesse était le premier défenseur des activités internationales de la jeunesse, à une si grande échelle. Mais étant donné qu’il y avait très peu d’organisations internationales de la jeunesse, c’était le moment opportun pour fonder… JEF-Europe.

Ceci ne veut en aucun cas dire que JEF-Europe n’aurait pas été fondé sans l’existence de la Fondation européenne pour la Jeunesse. Cependant, la possibilité de bénéficier de son soutien a certainement aidé les différents groupes JEF à se rassembler. Histoire de montrer notre rapidité : dans la Fondation européenne pour la Jeunesse, toutes les organisations obtiennent un numéro lorsqu’elles posent leur candidature pour la première fois. JEF a le numéro 8. La Fondation compte aujourd’hui plus de 600 organisations enregistrées. Au départ, la Communauté européenne n’avait aucun rôle dans le développement de l’action internationale de la jeunesse. Le Forum de la Jeunesse de la Communauté européenne n’a été mis sur pied que quelques années plus tard, en 1978. Le fait que la Communauté n’ait joué aucun rôle a eu de nombreuses conséquences jusqu’à présent, mais c’est une autre histoire. Le nouveau JEF s’élargit au Nord

Il est difficile d’imaginer à quel point l’Europe était au cœur de nombreux débats en 1950 : les États-Unis d’Europe paraissaient bientôt devenir réalité. C’était plus une question de méthode qu’autre chose… semblait-il. Comme nous le savons, l’histoire s’est déroulée de manière bien différente. Mais avant d’évoquer la situation actuelle des JEF, j’aimerais revenir sur les années 1970.

Comme dit précédemment, la simulation de négociations sur un élargissement vers le Nord a constitué la première activité à échelle européenne des JEF. Les JEF ont vu le jour en 1972, une des nombreuses années importantes de l’histoire de l’Union européenne. Le Danemark, l’Irlande, la Norvège et le Royaume-Uni ont posé leur candidature pour devenir membre de la Communauté. Alors que tout s’est bien passé pour trois d’entre eux, la Norvège a pris un chemin différent. Un référendum a été tenu. Un groupe enthousiaste, les Europeisk Ungdom, s’est chargé d’établir une campagne en faveur de l’Europe. Ce groupe de jeunes s’est révélé être très dynamique lors de la campagne, mais 54 % des Norvégiens ont fini par dire Nej à l’adhésion.

Au terme du référendum, ce groupe important de jeunes Norvégiens dynamiques s’est associé aux JEF, ce qui a considérablement augmenté le nombre de membres actifs de notre organisation. Étant donné que la lutte pour une fédération européenne était peu pertinente pour un pays qui venait de refuser d’adhérer à l’UE, les JEF-Norvège étaient toujours « à l’avant-garde de tous nos efforts pour devenir un véritable mouvement supranational » (pour utiliser les mots exacts de l’ancien Président de JEF, GiannisPapageorgiou). Et pour en faire un mouvement international de la jeunesse. Dans les années 1970, on parlait d’« Eurosclérose » : une longue période de maigre progrès pour l’UE due à la crise économique de l’époque. Lorsque l’Europe faisait l’objet d’articles de presse, ces derniers portaient sur la Politique agricole commune et les « lacs de lait » qu’elle engendrait. À cette époque, la Communauté était loin d’être attirante. Les jeunes en particulier ne se souciaient pas vraiment de l’intégration européenne.

Même si les JEF s’intéressaient toujours à la Communauté européenne, de nouvelles thématiques ont vu le jour et ont pris de l’importance, dont les relations Est-Ouest, le désarmement, les femmes, l’environnement, et les problèmes liés au Tiers-monde. Plusieurs sections sont devenues « anticapitalistes ». L’Europe était accusée d’être vendue au « grand capital ». Bien évidemment, tous les JEF n’en avaient pas une telle opinion, mais une partie de l’organisation reflétait cette pensée courante. La pensée fédéraliste était à la base de toute discussion politique des JEF et à l’époque, elle était peu courante. Et ce, même si les aspects sociaux du fédéralisme étaient plus débattus que les aspects institutionnels.

Spinelli et les glorieuses années 80

Une des campagnes les plus importantes des années 1970 est celle de la lutte pour l’élection au suffrage universel direct au Parlement européen. La première élection au suffrage universel direct a eu lieu en 1979 et Altiero Spinelli est devenu membre du Parlement européen. Spinelli, un des pères fondateurs du mouvement fédéraliste au cours de la Seconde Guerre mondiale et un « maximaliste » des années 1950, avait comme idée de faire du Parlement européen l’élément fédérateur de l’Europe, une sorte d’assemblée constituante. Il est finalement parvenu à convaincre ses collègues au Parlement de soutenir et de développer le projet de Traité sur l’Union européenne. À peu près au même moment, Jacques Delors est devenu Président de la Commission européenne (1985-1995) et a mis en œuvre le marché unique (1992). La situation économique était favorable en Europe occidentale, où les citoyens jouissaient de leurs richesses. La séparation du continent n’était plus d’actualité depuis l’échec du mouvement de paix au début des années 1980. Le projet intitulé « Europe 1992 » fascinait la plupart des Européens, qui considéraient l’intégration européenne comme positive. La Communauté s’est élargie avec succès vers le Sud (Grèce, Espagne et Portugal) et a joué un rôle constructif dans la démocratisation de ces pays. Pour sa part, les JEF ont également évolué. Le « Grand Bond en avant » du processus d’intégration européenne semblait de plus en plus réalisable. Les questions institutionnelles étaient de plus en plus débattues car il semblait – du moins, c’est ce que l’on croyait – qu’une réelle démocratie européenne pourrait être mise en place dans de brefs délais. À cette époque, le fédéralisme n’était pas un gros mot et des projets de constitution européenne étaient en court.

Pour cette raison, les JEF se sont décrits comme suit : « De jeunes Européens avec tout simplement une longueur d’avance », c’est-à-dire déjà dans une fédération européenne. Avec le boom économique, la population avait assez d’argent pour s’acheter toutes sortes de belles choses produites en Europe. La mode est redevenue importante, la télévision par câble nous a amené MTV Europe, les habitudes alimentaires ainsi que les modes de vie sont devenus de plus en plus similaires à travers l’Ouest de notre continent. Les processus d’européanisation et de mondialisation étaient dès lors perçus d’une manière favorable et enrichissante. La population était heureuse de son identité européenne. Tor Eigil Hodne, ancien éditeur de cette revue et ancien président de JEF, a décrit ce sentiment des années 1980 d’une manière exemplaire dans son article « À une génération des vrais Européens ». Cet article avait été écrit en 1992. D’aucuns diront que c’était une rétrospective des glorieuses années 1980, d’autres, un vœu pieux.

Une Europe pour tous, pas juste pour les politiques

Plus on avance dans l’histoire récente, plus cela devient difficile, d’une certaine manière, d’identifier des tendances communes. Ou, du moins, cela devient plus facile de contredire l’auteur puisque les derniers développements européens sont encore frais pour la plupart d’entre nous. On pourrait, peut-être, identifier trois éléments fondamentaux qui influencent le travail et les discussions de JEF. Premièrement, le retour des guerres nationalistes en Europe. Deuxièmement, la crise de la légitimité du processus d’intégration européen encouragée par le référendum au Danemark de 1992, le référendum perdu en Norvège de 1994 et l’attitude négative de la majorité des citoyens de l’Union européenne vis-à-vis de l’euro. Troisièmement, les questions ouvertes sur l’élargissement de l’Union européenne. Bien entendu, ce n’est là qu’une description très limitée des défis qui nous attendent. Ces trois éléments sont évidemment liés à différents niveaux et on pourrait en outre allonger la liste de questions. Cela dit, voilà où on en est.

À l’heure actuelle, JEF est actif dans 28 pays et les JEF de chacun de ces pays doivent trouver des solutions, différentes, à ces questions. La réponse élémentaire est que nous avons besoin d’« une Europe pour tous et pas juste pour les politiciens ». Cela a peut-être l’air trop simple pour certains, mais nous pensons le contraire. C’était déjà ce que nous voulions dans les années 1950, mais malheureusement l’Europe actuelle est toujours une Europe pour les politiciens, pour l’Ouest, pour les riches. Les anti-européens s’en sentent exclus. Ils ne sont pas contre les valeurs pour lesquelles lutte notre Europe pour tous : la paix, la démocratie et l’égalité. Peut-être que ces mots semblent trop simplistes. Pourtant, c’est une bonne description du Fédéralisme avec un grand « F ».

Prêt à payer le prix plein ?

Lorsque j’ai commencé à écrire cet article, il était censé faire une page… Mais bon. En parcourant l’histoire de JEF, j’ai certainement passé outre beaucoup de choses. Je n’ai presque pas mentionné de noms car je ne connais pas vraiment les militants. Et c’est bien ça le problème des organisations de la jeunesse : les jeunes ont la mémoire courte. D’un côté, c’est positif, car cela permet de créer des choses plus facilement et de changer d’orientation. D’un autre côté, c’est négatif car de nombreuses informations se perdent et, parfois, on travaille sur le même sujet plusieurs fois sans s’en rendre compte. Peut-être que 25 ans est l’âge auquel on devrait recevoir des conseils à nouveau. On doit devenir adulte et prendre des décisions. Je suppose que les JEF devraient également en recevoir. C’est pourquoi j’invite tous les anciens JEF à faire des commentaires sur notre travail et à nous aider à améliorer les choses. L’anniversaire de cette année 1997 devrait être une bonne occasion de lancer ce processus d’apprentissage intergénérationnel. Question argent, les temps sont difficiles et nous devons encore faire de nombreux investissements… Je suppose qu’on devrait obtenir des cartes d’étudiants ou autre afin de bénéficier de réductions dans les transports qui nous mènent vers une Europe pour tous. Peut-être que certains membres de la génération des parents peuvent nous aider – 25 ECU pour le 25e anniversaire de JEF ne serait pas de refus.

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