L’action climatique de l’UE au ralenti : quels enjeux à l’approche des élections européennes 2024 ?

, par Le Courrier d’Europe, Matteo Ricotta

L'action climatique de l'UE au ralenti : quels enjeux à l'approche des élections européennes 2024 ?
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, lors d’une conférence de presse dédiée au « Pacte vert européen », le 14 juillet 2021 à Bruxelles. © European Union, 2023 – Source : Commission européenne. Photographe : Xavier Lejeune

Depuis le succès des partis verts au scrutin européen de 2019, le contexte politique et économique à l’échelle du continent a connu une transformation significative. A moins d’un an des élections européennes de 2024, quels défis attendent la politique environnementale de la Commission von der Leyen ?

L’Europe dans la course au Green Deal : une législature marquée par l’engagement climatique

L’avènement de la « vague verte » aux élections européennes de 2019, marquées par le succès inattendu des partis écologistes au scrutin, avait surpris nombre d’observateurs. Malgré une série de turbulences tant internes qu’externes (crise de la zone euro, Brexit, crise migratoire, guerre commerciale avec les Etats-Unis de Donald Trump, etc.), en 2019 le taux de participation aux élections européennes a vu une progression dans la majorité des Etats membres de l’UE (20 sur 28, selon les chiffres définitifs) par rapport au niveau de 2014. Cette mobilisation a été largement impulsée par les jeunes générations, revendiquant la place des enjeux environnementaux au cœur de la campagne électorale. En raison de ces résultats, la nouvelle Commission dirigée par Ursula von der Leyen s’est saisie de la question de la lutte contre le changement climatique, la plaçant au cœur de son mandat et l’associant inextricablement à l’avenir de son leadership. Ainsi, dans son discours de candidature adressé aux nouveaux élus du Parlement européen, le 16 juillet 2019, Mme von der Leyen réaffirmait son engagement pour que « l’Europe devienne le premier continent neutre pour le climat d’ici à 2050  », en soutenant l’objectif « de réduire les émissions de CO2 de 50%, voire 55%, d’ici à 2030  ». C’est à partir de ce moment-là que les contours préliminaires du « Pacte vert pour l’Europe » (en anglais, « European Green Deal ») ont commencé à prendre forme.

Depuis, les ambitions du Green Deal ont engendré des débats animés. Avec pour objectif de hisser l’UE au rang de l’économie la plus décarbonée du monde, une pléthore de stratégies, de plans d’action et de propositions concrètes ont vu le jour, touchant tous les secteurs relevant des compétences de l’UE. De l’efficacité énergétique à la gestion des déchets, en passant par la mobilité, la préservation des forêts, l’alimentation et les investissements dans les énergies renouvelables, les initiatives du Pacte vert ont couvert un large éventail de sujets. Une portée d’action considérable qui a suscité des discussions concernant l’éventuelle influence du "modèle européen" sur l’élaboration de la législation environnementale à travers le monde.

Un contexte international radicalement changé

Pourtant, peu auraient pu prévoir que les conditions politiques favorables à la montée en puissance de l’agenda climatique connaîtraient un changement aussi brusque. Les dernières années ont été en effet marquées par une pandémie mondiale bouleversant l’économie à l’échelle mondiale, le retour de la guerre en Europe, des crises énergétiques récurrentes, ainsi que le récent réveil des tensions israélo-palestiniennes. Une série de chocs qui a contribué à instaurer un environnement politique et économique de plus en plus défavorable aux initiatives les plus audacieuses du Green Deal.

D’abord, en 2020, l’urgence sanitaire a fait rapidement détourner l’attention des Etats membres et de l’exécutif européen des questions environnementales. Malgré ces premières difficultés, le déploiement du fonds de relance "Next Generation EU” a contribué à raviver en partie les travaux du Green Deal, notamment avec l’adoption du paquet législatif “Fit for 55”, en juillet 2021. Un élan qui a été brusquement étouffé par l’avènement d’une nouvelle crise externe.

Suite à l’invasion russe de l’Ukraine en février 2022, point de départ d’une guerre à la frontière orientale de l’Europe qui perdure encore aujourd’hui, l’Union européenne s’est retrouvée démunie. La réponse initiale européenne, matérialisée par la rapide imposition de sanctions à l’égard de Vladimir Poutine et son régime, s’est rapidement heurtée à la forte dépendance de l’Union vis-à-vis du gaz et du pétrole russe, ainsi que des importations agricoles ukrainiennes. Ainsi, la transition vers les énergies renouvelables et une politique agricole moins polluante à l’échelle européenne, pilier indispensable du Green Deal, s’est trouvée confrontée à une situation économique en Europe à nouveau critique.

L’émergence d’un nouveau populisme « climatosceptique »

Dans un tel contexte, perturbé ultérieurement par la récente escalade des tensions à Gaza, le paysage politique européen montre d’ailleurs des signes croissants de recomposition.

Ces derniers temps, à travers le continent, on observe de plus en plus l’adoption d’une posture à la fois populiste et "climatosceptique" par diverses forces d’extrême droite européennes. Une stratégie qui découle en grande partie de la volonté des mouvements traditionnellement eurosceptiques de contrer le principal programme d’action de l’UE au cours des dernières années. Ainsi, en capitalisant sur les désordres économiques mondiaux et la réticence grandissante de divers segments de la société (notamment les agriculteurs) face aux « impositions » du Green Deal européen, ces partis ont progressivement gagné du terrain dans tous les principaux Etats membres de l’UE.

La montée de ces mouvements a progressivement restreint la marge de manœuvre des gouvernements en matière de réglementation environnementale. Malgré la volonté de promouvoir une transition « juste », prenant en compte les besoins des catégories les plus vulnérables, la question de l’acceptabilité sociale des mesures les plus audacieuses du Green Deal demeure. Une préoccupation qui s’est intensifiée à la suite des récentes protestations des agriculteurs aux Pays-Bas, où la force populiste et « climatosceptique » du « Mouvement agriculteur-citoyen » (BBB) a réalisé une percée inattendue lors des élections municipales de mars 2023.

Cette tendance persiste, comme le souligne la récente avancée du parti d’extrême droite allemande "Alternative für Deutschland" (AfD) lors des élections régionales en Bavière et en Hesse en octobre 2023, marquées par de nombreux arguments fallacieux concernant les politiques environnementales du gouvernement d’Olaf Scholz (notamment concernant l’interdiction des chaudières à gaz).

L’avènement d’un Green Deal 2.0 ?

À moins d’un an des élections européennes, le cœur du mandat d’Ursula von der Leyen est sérieusement menacé. Les prochaines étapes du Pacte vert risquent de toucher de plein fouet des secteurs tels que l’agriculture, alors que l’économie est confrontée à une hausse persistante des taux d’intérêt de la BCE et à une inflation oppressante pour les ménages les plus vulnérables.

La situation est telle que plusieurs des mesures phares du Green Deal sont actuellement en révision à la baisse, mises de côté pendant le mandat en cours, ou voire reportées après les élections européennes. C’est précisément ce qui s’est produit avec la loi européenne sur la restauration de la nature approuvée en juillet 2023 mais vidée de sa substance suite à l’opposition conjointe des conservateurs et des forces d’extrême-droite au Parlement européen. De même, la révision du règlement REACH sur les produits chimiques a vu son vote reporté après les élections de juin 2024. Ces deux textes ont été confrontés depuis leur élaboration à une opposition farouche alimentée par des campagnes d’attaques et de désinformation.

Au sein même de la Commission, des changements significatifs sont en cours. Le commissaire en charge du Green Deal, Frans Timmermans, a récemment démissionné de son poste pour se lancer dans la course aux élections anticipées aux Pays-Bas prévues pour novembre. Mais surtout, Ursula von der Leyen elle-même a invoqué lors de son discours sur l’État de l’Union le 13 septembre, la nécessité d’inaugurer « une nouvelle phase du Green Deal  » ; un « Pacte Vert 2.0 » que de nombreux observateurs redoutent de voir se traduire par une révision à la baisse des ambitions fixées en 2019.

Or, la légitimité de Mme von der Leyen, qui ambitionne en coulisse un second mandat, ainsi que celle de sa Commission et de l’UE dans son ensemble, repose sur le succès de ce projet emblématique. Une déception en ce sens pourrait sérieusement remettre en question la capacité globale de l’Union à agir sur des questions considérées comme cruciales par les citoyens, en particulier ceux qui se sont mobilisés en masse en 2019 et ont confié un mandat aux institutions actuelles.

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