Internet, l’UE et la radicalisation des idées politiques

, par Michal Jarski, Traduit par Pierre Le Mouel

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Internet, l'UE et la radicalisation des idées politiques
AESRI, une agence européenne méconnue, pourrait nous aider à stopper les bots et fake news... © awee_19 // Flickr (CC BY-NC-ND 2.0)

Le World Wide Web est une des plus grandes réussites du XXIème siècle, maison de Facebook, Twitter, Google et beaucoup d’autres services numériques... La nouvelle Agora nous fournit aussi un sentiment de sécurité et d’anonymat pour que nous puissions nous exprimer librement. Le World Wide Web est aussi la maison des bots, des fake news et de l’astroturfing... Malgré tout ça, quels sont les véritables problèmes auxquels nous devons faire face au XXIème siècle ? Et comment amènent-ils un problème plus grand encore : la radicalisation politique ?

Dans sa Déclaration sur l’Indépendance du Cyberespace de 1996, John Perry Barlow écrit que « nous créons un monde où n’importe qui, n’importe où, peut exprimer ses croyances, aussi singulières soient-elles, sans peur d’être poussé au silence ou à se conformer. » et cette vision est encore partagée par beaucoup d’utilisateurs d’internet. Ils se croient anonymes, intouchables, à tel point qu’ils ont le droit de dire tout ce qu’ils veulent dire sans que cela ne provoque aucune conséquence. Mais ce n’est pas ça le pire, parce qu’il y a aujourd’hui des centaines de milliers de bots, c’est-à-dire une horde de comptes pilotés par un algorithme plutôt que par une personne réelle, et qui recherchent des tweets avec un tag ou des mots-clefs précis pour ensuite générer une réponse automatique, [1] et qui souvent empruntent un discours haineux ou menant à de faux articles. Il existe de nombreux sites internet qui expliquent pas à pas comment créer son propre bot pour Twitter.

Imaginons un instant que vous êtes un utilisateur régulier d’internet et que vous décidez de créer un compte sur un réseau social (beaucoup d’entre vous n’ont sûrement pas besoin d’imaginer cette situation). Vous faites votre compte en suivant les instructions, vous ajoutez vos amis, vous commencez à rédiger des commentaires et à faire vivre votre compte, en somme. Imaginons aussi que vous n’avez aucun penchant politique. Vous savez qu’il existe la droite, la gauche, le centre et quelques partis hybrides mais vous êtes totalement neutre par rapport à ça. Ils existent, mais vous n’en avez cure. Mais parmi vos amis se trouve un militant. Peut-être pas qu’un d’ailleurs. Ils commencent à vous envoyer des liens à liker ou des pages à suivre, et vous le faites. Du coup, les algorithmes internes au réseau social que vous avez choisi d’utiliser retiennent ces choix et les lient à votre compte. Dans un premier temps, ça ne vous intéresse pas parce que ça ne vous touche pas franchement. Ensuite, vous commencez à vous sentir impliqué, vous commencez à sentir que certaines causes vous touchent. Vous commencez alors à exprimer des doutes, à vous opposer à quelques avis sur ces causes. Mais parce que les bots sont expressément programmés pour réagir à ce genre de situation, vous commencez à vous faire inonder de réponses. Réponses qui, au départ, ne vous correspondaient pas, mais qui, petit à petit, commencent à vous convaincre, car après tout, il semblerait que ce soit l’avis d’un très grand nombre de personnes et la majorité ne peut pas se tromper à ce point. Et dire qu’avant vous n’aviez absolument aucun avis sur la politique !

Réfléchissez maintenant à comment de tels mécanismes peuvent influencer des gens déjà quelque peu actifs politiquement, ou même des convaincus ou des militants. Ces gens n’ont pas peur d’exprimer leurs opinions puisque leur anonymat les protège de toutes représailles. Ce phénomène pousse à une véritable radicalisation des opinions politiques des internautes. De tels mécanismes ont été utilisés entre autres par l’équipe de campagne de Marine Le Pen pour les pousser à voter en sa faveur pendant l’élection présidentielle. Et plus de radicalisation signifie moins d’argumentation, ce qui affecte drastiquement la qualité des échanges et débats politiques.

Il existe plusieurs méthodes pour reconnaître un bot mais les mesures prises individuellement sont très rarement efficaces. Les gros réseaux sociaux préfèrent des rapports en masse fournis par un grand nombre de personnes sur une période courte. Ce qui mène par exemple à Facebook, qui supprime par erreur des pages qui respectent pourtant les règles d’utilisation du service.  [2] C’est pourquoi, nous avons besoin d’une agence européenne pour faire face à de tels problèmes à large échelle et ainsi passer cette responsabilité des réseaux sociaux à l’Union Européenne.

Vous vous demanderez sûrement ce que l’UE a à voir là-dedans et la réponse se trouve dans l’acronyme AESRI. Vous ne connaissez sûrement pas AESRI puisqu’elle n’est pas des plus connues. AESRI signifie Agence Européenne chargée de la Sécurité des Réseaux et de l’Information, agence dont la mission est d’améliorer la protection des données et d’aider la Commission, les Etats-membres et les entreprises dans ce but. Pour l’instant, c’est la seule mission de cette petite agence inconnue du grand public, mais suite à la menace cybernétique qui pèse aujourd’hui sur l’Europe, le Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a proposé de créer une Agence Européenne pour la Cybersécurité et il semblerait que l’AESRI puisse devenir cette agence. [3]

De nouveaux fonds proposés par Jean-Claude Juncker pourraient rendre bien plus efficaces la lutte contre la cybercriminalité et les fake news, surtout que l’AESRI a déjà répété son besoin de plus de fonds, nécessaires à la bonne opération de l’agence. L’AESRI est consciente des problèmes liés à la désinformation et est confiante que la menace peut être combattue avec des mesures adéquates. Fera-t-elle bonne usage des nouveaux fonds qui lui seront alloués ? Difficile à dire ! Mais considérant leurs analyses sérieuses de nombreux problèmes liés à internet, on peut espérer que ce sera le cas et que les menaces que l’on considère aujourd’hui comme difficiles à combattre seront bientôt réglées - ce qui augmentera la qualité d’internet pour tous.

Notes

[1Voir https://twitter.com/mackozer/status/881552358232084483 – (tweet en Polonais, réponse en Russe)

[3Catherine Stupp : « Bruxelles s’attaque aux hackers ».Euractiv : 13/9/2017. Voir : https://www.euractiv.fr/section/economie/news/juncker-announces-massive-cyber-security-overhaul/

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