Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

, par Ferghane Azihari

Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable
Donald Tusk, président du Conseil européen, présente aujourd’hui au Parlement européen les conclusions du Conseil européen extraordinaire qui s’est tenu jeudi dernier à Bruxelles entre les chefs d’Etat et de gouvernement, qui ont adopté une série de mesures d’urgence pour lutter contre la crise en Méditerranée. La Parlement a déjà annoncé sa déception face aux propositions a minima retenues par la Conseil. - © European Union 2015 - European Parliament

Voici venu le temps des condoléances hypocrites et des déductions affligeantes sur les causes des drames survenus en mer Méditerranée. À chaque hécatombe, c’est en effet le même discours tant du côté des élites politiques que des militants europhiles qui s’offusquent du manque de moyens d’une Europe réputée impuissante face aux flux migratoires. Le diagnostic étant posé, la solution paraît logique et s’impose d’elle-même : renforcer les pouvoirs des institutions européennes. Ces drames sont au contraire le fruit de multiples actions politiques qu’il faudrait combattre et non encourager.

Le mythe de l’Europe impuissante

Les États européens et l’Union européenne sont accusés de manquer de volonté pour assurer la sécurité des flux migratoires. On ne peut tenir de tels propos. L’Europe n’est pas impuissante vis-à-vis de l’immigration. Elle est au contraire de fait la plus grande alliée des mafias qui fondent leur business model sur la vente de cercueils flottants en adoptant des politiques migratoires prohibitionnistes. L’agence européenne de la coopération aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne (Frontex) s’adonne littéralement à des pratiques criminelles en signant des accords avec des pays peu scrupuleux en matière de droits de l’Homme pour externaliser les centres de rétention de migrants. Une forme de délocalisation intelligente pour éviter que ces centres tombent sous le coup des lois européennes supposées protéger les libertés fondamentales.

Son budget a atteint 85 millions d’euros en 2013. Parallèlement, le Vieux Continent est en train de se doter d’un dispositif appelé Eurosur qui, à l’aide de drones, d’hélicoptères et de satellites, est chargé de traquer les individus qui tentent de migrer pour échapper à l’oppression et la misère dans leur pays d’origine, le tout pour un budget qui devrait avoisiner plus de 200 millions d’euros en 2020. Nul doute qu’une politique de libre-circulation des personnes rendraient ces dispositifs couteux inutiles et couperait l’herbe sous le pieds des mafias qui prospèrent sur les restrictions imposées par les États. Mais face à ce drame, force est de constater que le Conseil européen s’est contenté de faire de la cosmétique.

Sus à l’impérialisme et aux politiques de développement néo-colonialistes

Le plus affligeant tient à ce que ces politiques migratoires restrictives sont accompagnées d’un satisfecit concernant les politiques de développement, lesquelles sont élaborées au motif d’une instabilité plus ou moins entretenues par les États européens [1]. Les élites politiques européennes se vantent d’être les principaux vecteurs de la « solidarité » internationale. Or nous savons d’une part que ces aides obtenues par la contrainte fiscale ne servent qu’à « vassaliser » les pays bénéficiaires pour satisfaire les objectifs néo-colonialistes des pays développés sans combattre le problème de la pauvreté et de la corruption. Dans le même temps, « en 2005, une étude de la Banque mondiale montra que si les 30 pays de l’OCDE acceptaient une augmentation de 3% de leur population active par l’immigration, les gains pour les pays pauvres seraient de 300 milliards de dollars, c’est-à-dire beaucoup plus que l’ensemble de l’aide au développement accordé par les pays riches » [2].

La libre-circulation est en effet l’outil de lutte contre la pauvreté le plus efficace et le plus ancien de la planète. Il est également un puissant vecteur de solidarité puisque les diasporas s’attachent à faire profiter - sans intermédiaire bureaucratique corrompu - leur pays d’origine de l’expérience et des moyens financiers qu’elles n’auraient pas pu acquérir sans migrer. Plutôt que d’entraver ce processus, les États européens devraient au contraire les libérer tout en abolissant les nombreuses politiques corporatistes et protectionnistes qui entravent le développement du continent africain.

Notes

[2Cité dans Louis Rouanet, « Plaidoyer libéral pour l’immigration libre », LThink Liberal Sciences-Po

Vos commentaires
  • Le 29 avril 2015 à 15:23, par Guillaume Bucherer En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    Haha j’ai bien senti le piège, mais c’est raté car je ne vais pas réagir. Promis.

  • Le 2 mai 2015 à 15:17, par thomas En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    Je ne pense pas que l’on puisse établir une culpabilité collective des Etats européens dans ce drame. L’Etat italien finançait un programme, Mare Nostrum, qui s’est révélé efficace dans le sauvetage des malheureux embarqués sur les « cimetières flottants ». Dommage que l’hypocrite UE, toujours prompte à se poser comme garante des droits de l’Homme, ait contribué à mettre fin à l’opération en n’apportant qu’une aide limitée à l’Etat italien pour la conduire.

    Je rejoins l’idée développée dans le paragraphe sur les politiques de développement. Cependant, je pense que l’article ignore le fait que certains Etats européens, plus que d’autres, contribuent à la déstabilisation des pays d’Afrique et du Moyen-Orient, et donc à l’augmentation exponentielle du nombre de réfugiés. Notamment la France, qui ne trouve rien de mieux à faire que de vendre des armes à des pays au coeur de zones de tensions (Egypte ou Inde) ainsi qu’à certains Etats dont le rôle dans leur espace régional et dans le développement du terrorisme international est trouble (Qatar et Arabie Saoudite). Le summum de la déstabilisation de ces régions par la France étant tout de même l’intervention guerrière brutale et meurtrière engagée par Sarkozy en mars 2011 qui a contribué à détruire les infrastructures du pays, laissant place à des groupes terroristes et des organisations criminelles en tout genre. Les guerres successives en Irak, auxquelles ont participé de nombreux Etats européens, ont grandement contribué également à nourrir l’afflux de réfugiés et à remplir les cimetières flottants de la Méditerranée.

    Si l’UE et les Etats qui la composent veulent mettre un terme à ce carnage qui a déjà fait plusieurs milliers de morts, il ne servira à rien de dénoncer l’immigration illégale et les passeurs mafieux. Il ne servira à rien non plus de bombarder les navires des passeurs quand ils sont vides (mêmes pleins, ce qui serait le comble de l’horreur, aucun des malheureux qui les remplissent ne reculerait à tenter sa chance, s’il estime que la vie qu’il avait dans son pays d’origine ne vaut pas d’être vécue). Pour mettre un terme à cette boucherie, il faut des changements politiques majeurs. D’abord, une réelle politique de paix : pas de vente d’armes dans des régions sous tensions ou en guerre, pas de coopération militaire avec des Etats qui jouent un rôle néfaste dans leur région, pas de participation aux coalitions diverses qui ravagent le Moyen-Orient depuis une vingtaine d’années et enfin pas de soutien à l’Etat criminel d’Israël qui a aussi une responsabilité immense dans les conflits qui enflamment le Proche-Orient. Deuxièmement, une réelle politique de coopération économique et sociale avec les pays en voie de développement ou encore sous-développés fondée sur le « gagnant-gagnant » et non plus sur le pillage des richesses, matérielles ou humaines, comme c’est le cas actuellement.

  • Le 3 mai 2015 à 12:40, par Alexandre Marin En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    « Dommage que l’hypocrite UE, toujours prompte à se poser comme garante des droits de l’Homme, ait contribué à mettre fin à l’opération en n’apportant qu’une aide limitée à l’Etat italien pour la conduire. »

    Les institutions de l’UE compétentes pour les questions d’immigration sont les institutions intergouvernementales, c’est-à-dire le conseil européen, qui regroupe les 28 chefs d’Etat et de gouvernement, et le conseil des ministres, qui regroupe les 28 ministres des affaires étrangères des Etats-membres de l’UE. Les décisions s’y prennent à l’unanimité.

    Donc là où vous voyez l’« hypocrite UE », je ne vois rien d’autre qu’un rassemblement de dirigeants nationaux représentant chacun leurs pays. C’est l’Europe des nations tels que chérie par les Eurosceptiques. Pour moi, les deux institutions aptes à représenter l’U.E sont la Commission et le Parlement européen. Or, en matière d’immigration, ils n’ont aucun moyen de contrainte sur les institutions intergouvernementales.

    Donc, c’est terriblement injuste d’accuser l’UE de ces drames pour la simple raison qu’elle n’a pas les compétences pour faire quoi que ce soit, ce sont les Etats qui décident à l’unanimité. Les seuls responsables de ces drames sont les Etats qui ont refusé de soutenir l’Italie, et qui refusent toujours de financer des programmes efficaces de sauvetage de migrants et de développer une politique d’immigration légale pour l’UE.

  • Le 3 mai 2015 à 17:24, par thomas En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    Je ne suis pas juriste, ces débats de droit ne m’intéressent pas. La réponse qu’exige ce drame humain ne peut pas être un bidouillage institutionnel compris uniquement des détenteurs d’une licence de droit. Je préfère me poser de véritables questions politiques. L’article a le mérite de le faire, même si sur certains points, j’ai apporté des nuances (cf commentaire précédant). Les réponses concrètes dignes de ce que les européens prétendent être sont venues de certains Etats : hier l’Italie, avec l’opération Mare Nostrum, et aujourd’hui de la Grèce (extrémiste, paraît-il...), dont le gouvernement souhaite accorder l’asile aux migrants et a annoncé son souhait de fermer les ignobles camps de rétention « made in EU » gérés par Frontex. Ou est l’UE pour appuyer ces initiatives ? Même le commissaire de l’ONU aux droits de l’Homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a dénoncé le cynisme des politiques migratoires de l’UE...

    Alors, avant d’aller donner des leçons au monde entier, sous la bannière de l’universalisme des valeurs européennes, commençons par en être dignes et les concrétiser dans nos pays, ce sera déjà un bon début.

  • Le 4 mai 2015 à 14:49, par Komrad En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    « Je ne suis pas juriste, ces débats de droit ne m’intéressent pas ». C’est avec ce genre d’arguments que l’on construit les dictatures.... Et pourquoi pas « Quand j’entend le mot »Droit« , je sors mon revolver... » ?? Cela prouve encore une fois l’absolue nécéssité de distinguer l’UE de l’« Europe ». L’Europe est certainement hypocrite avec sa NIMBY attitude mais, comme le fait trés justement remarquer A.Marin, l’UE ne fait que ce qu’elle a le pouvoir de faire. Si chaque pays décide dns son coin d’une attitude à avoir vis à vis des migrants, accueil, expulsion, camps de réfugiés, retour à l’envoyeur...etc... cela ne fonctionnera pas. Le minimum serait d’avoir une politique commune entre tous les pays dMirectement concernés (Espagne/France/Italie/Croatie/Grèce/Malte/Chypre et pourquoi pas l’Albanie et le Montenegro ) ET un financement par l’UE global. L’Hypocrisie ne me semble pas être du coté de l’UE mais du coté de ceux qui raisonnent encore à l’échelle de la « Nation ».

  • Le 5 mai 2015 à 18:25, par thomas En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    Merci d’éviter les comparaisons hâtives et désagréables : le droit n’est que l’expression du politique. Focalisons nous d’abord sur les questions politiques, les véritables questions de fond : dénoncer l’intergouvernementalisme, l’Europe des nations ou je ne sais quoi d’autre alors que plusieurs centaines de personnes se sont noyées dans la Méditerranée, c’est risible. Dénoncer les actions des Etats aussi, surtout lorsque l’on sait que l’Italie hier, et la Grèce aujourd’hui, font leur possible pour mettre un terme à la tragédie.

  • Le 5 mai 2015 à 19:31, par Alexandre Marin En réponse à : Drames en Méditerranée : la politique européenne coupable

    « Focalisons nous d’abord sur les questions politiques, les véritables questions de fond : dénoncer l’intergouvernementalisme, l’Europe des nations ou je ne sais quoi d’autre alors que plusieurs centaines de personnes se sont noyées dans la Méditerranée, c’est risible ».

    Dénoncer l’« hypocrite UE » est au moins tout aussi risible que de dénoncer les actions de l’Etat sachant qu’elle ne peut rien faire.

    L’Italie et la Grèce font en effet leur possible pour mettre fin à la tragédie, personne ne dit le contraire. Le problème, c’est que ces deux Etats sont débordés et les Etats du nord de l’Europe ne font rien pour les aider. Chaque pays décide dans son coin alors que le problème des drames en Méditerranée est un problème européen qu’aucun pays ne peut gérer seul et qui nécessite une action européenne. Or, seuls l’Italie et la Grèce sont disposés à mettre en place une action commune, par conséquent, on continue à tourner en rond. L’Union européenne n’y est pour rien.

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