Carton rouge aux États membres ne jouant pas le jeu de la démocratie européenne

, par Michel Gelly

Carton rouge aux États membres ne jouant pas le jeu de la démocratie européenne

Dans la moitié des pays de l’Union européenne, la loi nationale n’autorise pas aux partis politiques d’afficher leur affiliation à un parti européen. Une bien triste nouvelle pour la démocratie européenne au moment où les électeurs vont pouvoir, pour la première fois, avoir leur mot à dire sur la désignation du futur Président de la Commission européenne. Dans le reste de l’Europe, comme en France ou au Royaume-Uni, rien n’interdit d’informer les électeurs. En Italie, cela est même recommandé.

C’est un de ces tableaux que la Commission européenne publie de temps en temps pour comparer les Etats membres entre eux. Une annexe à un rapport, rien de plus, qui fait pourtant froid dans le dos. Quatre petites questions aux autorités nationales afin d’évaluer la « conduite démocratique des élections » européennes à venir. Selon ce document, dans quatorze Etats membres, « la législation nationale n’autorise pas l’apposition du nom et/ou du logo des partis européens sur les bulletins de vote. » Une incursion surprenante de la Loi dans un domaine qui appartiendrait plutôt aux partis politiques. C’est à eux que revient en effet la tâche de communiquer sans entrave avec les électeurs.

Cette triste découverte –et l’on saluera ici le travail de centralisation des données effectué par Bruxelles- confirme, s’il était permis d’en douter, le cynisme ou l’ignorance des élites nationales vis-à-vis du projet européen et d’un scrutin dont on n’explique que trop peu l’enjeu.

Le soir du 25 mai, à l’heure des chaines d’information en continu, fleuriront des analyses nombreuses et variées : on y verra sûrement le désintérêt des peuples pour cette Europe si lointaine et si intransigeante ; on scrutera de près l’abstention et on lui fera dire tout et son contraire ; on rappellera combien l’Union ne peut pas fonctionner sans un espace public commun et on essaiera sans doute de ne voir que vingt-huit leçons nationales à un résultat qui nous concerne tous.

En plus de cela, dans la moitié de l’Union européenne, la législation aura eu sa part de responsabilité dans ses résultats. Le minimum syndical –il n’est question ici que d’un petit logo, d’un nom de parti ou de candidat à la Présidence de la Commission- n’aura pas même été fait par les dirigeants nationaux pour contextualiser cette élection. Dans la moitié de l’Europe, ce sont les mêmes dirigeants qui critiquent le déficit démocratique et qui l’entretiennent. Un jeu de dupes bien dangereux.

Géographie de l’étrange

A y regarder de près, il s’agit d’un groupe d’Etats sans continuité territoriale ou même historique : Allemagne, Bulgarie, Croatie, Danemark, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Roumanie et Slovaquie. Une répartition qui empêche toute analyse traditionnelle : anciens contre nouveaux Etats membres, Europe du Sud face à Europe du Nord. Ils n’ont en commun que leur interdiction par la loi de rappeler, sur le bulletin de vote, la véritable portée de ce scrutin. De quoi éloigner l’acquisition d’une légitimité démocratique nouvelle pour le Parlement européen.

Il s’agit, à n’en pas douter, de pays où la législation sur les bulletins de vote est tatillonne, comme dans une mauvaise caricature de directive européenne. Elle n’est probablement pas toujours dirigée spécifiquement contre les partis européens et leurs logos.

Certains, comme la Slovaquie, font savoir qu’il s’agirait d’une discrimination envers les partis nationaux qui n’appartiennent pas à un parti européen. Une argumentation quelque peu fragile. Dans ce cas, pourquoi ne pas interdire tous les logos de partis nationaux ? Ils constituent une discrimination envers les candidats sans étiquette.

D’autres pays, comme la Hongrie, font savoir qu’ils considèrent que c’est aux partis seuls d’informer et que le bulletin de vote n’est pas essentiel. Dans le cadre d’une élection aussi importante et dont les enjeux dépassent les frontières, on voit mal comment justifier l’absence de transparence et d’information. Si les partis sont libres de préciser leurs intentions au niveau concerné par cette élection, à savoir l’Europe, pourquoi faudrait-il empêcher aux électeurs, dans le secret de l’isoloir, d’avoir toutes les informations inscrites sur le bulletin de vote ?

Le cas de l’Allemagne et du Luxembourg est davantage troublant. Les candidats à la Présidence de la Commission européenne des deux plus grands partis, Martin Schulz pour le Parti Socialiste Européen (PSE, centre-gauche) et Jean-Claude Junker pour le Parti Populaire Européen (PPE, centre-droit) en sont originaires. Alors qu’Angela Merkel ne semble pas vouloir voir d’automatisme entre majorité au Parlement européen et Présidence de la Commission automatique, cet obstacle juridique supplémentaire laisse perplexe. L’Etat allemand souhaite-t-il encore réduire le déficit démocratique des institutions européennes, comme il le proposait au plus fort de la crise de la zone euro ? Ces données confirment-elles l’idée que certains Etats joueraient le jeu d’une interprétation a minima des textes, en rendant les résultats illisibles et en empêchant les citoyens de penser que, cette fois, c’est vraiment possible de changer la direction de l’Europe. Un pari risqué, qui ne voit pas plus loin que le court terme et les prés carrés des Etats. Qui peut encore contester le besoin de gérer collectivement les enjeux du 21ème siècle ? Comment peuvent-ils être relevés alors que les citoyens européens semblent désespérés par une Union sourde à leurs aspirations et portée du bout des doigts par des Etats ne jouant plus le jeu du communautaire ?

Les recommandations de la Commission auront malgré tout servi à quelque chose. Dans quelques-uns des pays susmentionnés, la législation devrait évoluer pour enfin permettre aux partis de préciser à quelle famille politique européenne ils appartiennent. C’est le cas notamment de la Croatie et de la Grèce.

Les partis politiques européens en question

L’autre déception de ce scrutin, c’est peut-être le caractère encore imparfait des partis politiques européens. Ceux-ci restent aujourd’hui plutôt des conglomérats de partis nationaux que de véritables partis politiques.

Les questions européennes méritent mieux que d’être posées tous les cinq ans, à supposer que la prochaine campagne permettra d’y répondre. L’animation du débat européen, à tous les niveaux, est aujourd’hui insuffisante. Certains avancent l’excuse de nos multiples langues, qui constituent pourtant plus une richesse qu’un obstacle. Plusieurs démocraties plurilingues fonctionnent aujourd’hui dans le monde, en Afrique du Sud ou en Inde, par exemple. L’argument de la complexité des institutions est également spécieux, tant la pédagogie est absente de la parole de nos dirigeants ou des contenus de nos médias.

Le traité de Lisbonne et ses avancées, ainsi que la campagne des européennes 2014 -la première en son genre- ne doivent pas faire oublier que les partis européens doivent être en mesure d’animer l’espace public européen en permanence. Il faut qu’ils évoluent pour pouvoir contribuer véritablement à la démocratie du continent en devenant d’authentiques espaces de discussions et d’orientation de notre Union.

Leur statut et leur financement sont pourtant encore en chantier.De multiples réformes pourraient être apportées : l’adhésion directe pour les militants à un Parti européen, sans passer par le niveau national ou bien le renforcement de leur financement, dans la transparence, afin de les rendre plus autonomes des partis constitutifs.

Quoi qu’il en soit, et bien qu’ils restent perfectibles, il faut reconnaitre aux partis européens leur travail pour faire émerger des têtes de liste pour la Commission, malgré l’opposition ou l’inaction des partis et des gouvernements nationaux. C’est pourquoi il est d’autant plus dommageable de voir quelques législations nationales se mettre en travers d’une révolution nécessaire : la légitimation démocratique de notre Europe.

Le cas de l’Italie devrait servir d’exemple aux autres Etats membres, le rapport de la Commission nous faisant savoir que les autorités nationales y ont « invité les partis politiques nationaux à informer les électeurs de leurs liens d’affiliation avec des partis européens en faisant apparaître cette affiliation dans leurs logos respectifs, qui figureront sur les bulletins de vote ».

Une lueur d’espoir face aux vieux réflexes de nos dirigeants. Au lieu de saisir la main tendue par un nouveau type d’élection, indirecte, du Chef de l’exécutif européen, certains d’entre eux semblent prêts, une fois encore, à garder les vieilles méthodes. Celles des marchandages et du noyautage de Bruxelles au profit des Etats et au détriment des peuples. Pas sûr que les électeurs seront capables dans ces conditions de voir en l’Europe leur planche de salut. On les comprend. Plus que jamais pourtant, l’Union est indispensable.

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