Institutions

Union européenne : l’opacité du Conseil des ministres pointée du doigt

L’une des branches du pouvoir législatif européen travaille encore en secret

, par Emmanuel Vallens

Union européenne : l'opacité du Conseil des ministres pointée du doigt

Le 22 février dernier, la Commission des pétitions du Parlement européen a examiné un rapport sur la transparence du Conseil des ministres, l’autre branche du pouvoir législatif européen, qui pourtant fonctionne encore de manière opaque comme une conférence diplomatique quelconque.

Le Conseil des ministres : une institution complexe

Le « Conseil » est en fait une institution complexe. Il se réunit en neuf formations différentes qui rassemblent les ministres nationaux compétents, selon les sujets traités (environnement, santé et affaires sociales, compétitivité, transports, énergie...). Chaque formation se réunit environ une fois par mois à Bruxelles.

Naturellement, les ministres nationaux n’ont pas réellement le temps de suivre les dossiers. En fait, leurs travaux sont préparés bien en amont dans des groupes techniques composés de fonctionnaires nationaux, qui étudient les textes proposés par la Commission.

Puis, c’est le Comité des représentants permanents (Coreper), composés d’ambassadeurs plénipotentiaires des Etats auprès de l’Union européenne, qui se réunit deux fois par semaine, et prend le relais sur les points un peu plus litigieux.

Ce Coreper fixe alors l’ordre du jour du Conseil des ministres, et lui « pré-mâché » son travail. Les questions sur lesquelles le Coreper est parvenu à s’accorder font l’objet de « points A », qui seront adoptés sans débat au Conseil des ministres. Les « points B » sont les questions plus litigieuses de l’ordre du jour, sur lesquelles les ministres débattront et voteront.

Faux-semblants au Conseil

Jusqu’à présent, la question de la transparence fait l’objet du règlement intérieur du Conseil, qui pose dans son article 8 le principe de la publicité de ses délibérations lorsqu’il adopte des « lois » européennes, en codécision avec le Parlement européen. Mais cette publicité ne s’applique qu’aux travaux du Conseil, alors que l’essentiel des débats se déroule en amont, dans les groupes de travail et au Coreper ! Par ailleurs, les points « publics », dispersés dans l’ordre du jour, sont généralement adoptés sans l’ombre d’un débat entre les ministres.

Comment pourraient-il débattre, d’ailleurs ? Vingt-cinq délégations autour d’une table, chacune voulant exprimer sur chaque sujet sa position, rend impossible toute discussion quand une directive doit être adopté en une matinée. Ce fonctionnement opaque empêche évidemment toute responsabilité démocratique des ministres nationaux : les rares discussions publiques sont dépourvues de tout intérêt médiatique et personne ne s’intéresse aux positions adoptées par les ministres nationaux au niveau européen.

Ainsi, ce n’est qu’en 2005, en plein cœur de la campagne référendaire, que les autorités françaises feignent de s’offusquer du projet de directive « Bolkestein », pourtant présentée au Conseil des ministres début 2004, sans réaction de leur part, et sans, bien sûr, que les Français en soient informés.

Aucun média ne s’en émeut non plus de l’absentéisme chronique au Conseil des ministres du Ministre de la justice français, Pascal Clément. Le 21 février dernier, une nouvelle fois, il n’était pas présent, alors que se discutait entre ministres un projet de règlement qui, selon certains, mettrait en danger la liberté de la presse. La France est contre mais, comme le souligne Jean Quatremer sur son blog [1] « pour l’expliquer, nul ministre ». Et les médias s’en fichent.

Soigner les vices profonds du système

Suite à de nombreuses plaintes, le Conseil a donc adopté, le 21 décembre 2005 dernier, des Conclusions intitulées « Améliorer l’ouverture et la transparence au Conseil » [2].

Des conclusions où il s’engage à tenir plus de débats publics, même pour les actes hors procédure de codécision. Où il prévoit de regrouper les débats et délibérations publics sur l’ordre du jour. Et où il s’engage enfin à beaucoup plus communiquer sur la publicité des débats (et à les rendre disponibles en direct, sur Internet).

C’est un pas dans la bonne direction. Mais bien insuffisant. En effet, un rapport, discuté le 22 février par la Commission des pétitions du Parlement européen, souligne certaines déficiences.

Il constate notamment que les avancées adoptées par le Conseil ne parviennent pas à cacher les vices profonds du système : particulièrement le fait que l’essentiel du travail a lieu en amont, lors des groupes de travail et du Coreper.

Encore beaucoup de choses à faire

S’il appelle donc le Conseil à aller jusqu’au bout de sa logique et à modifier son règlement intérieur, le Parlement européen se garde bien, néanmoins, de donner les détails d’une réforme éventuelle. Or, il faut avoir le courage de dire que c’est la structure même du Conseil qui doit être revue, en fusionnant le Coreper et les différentes formations du Conseil pour en faire une vraie Assemblée législative.

On pourrait alors imaginer que le Conseil, comme le Parlement, travaille en permanence sous le regard de tous. Ses travaux seraient préparés par des formations sectorielles où siègeraient des représentants des gouvernements, et, lors des réunions les plus importantes, les ministres nationaux se déplaceraient. Mais l’essentiel serait là : on saurait qui représente la France, ce qu’elle défend et comment elle vote.

Par ailleurs, le fonctionnement du Conseil reste plus marqué par la tradition des conférences diplomatiques que par celle du parlementarisme.

Peut-on parler de publicité lorsque les débats ne sont retransmis que par Internet, et que les citoyens ne peuvent accéder aux salles des débats, comme dans tout Parlement, salles rendues si exiguës depuis l’élargissement que même les représentants des États et de la Commission ont dû réduire la taille de leurs délégations ?

On le voit, le combat pour la transparence du Conseil est loin d’être terminé. Reste encore à en retransmettre les débats sur Euronews, à réviser son règlement intérieur pour qu’il abandonne son fonctionnement intergouvernemental et adopte enfin les méthodes des assemblées parlementaires modernes.

Bref, les fédéralistes ont encore du travail à accomplir et de beaux jours devant eux...

Photo : cernicalo-e

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom