Il convient d’abord de nuancer l’importance des présidences tournantes. L’Union européenne est un paquebot qu’il est difficile de faire changer de cap en quelques mois. Même les présidences les plus médiocres, notamment celle de la République Tchèque, n’ont pas provoqué de catastrophes majeures. Il ne s’agit après tout que de présider les réunions au sein du Conseil des ministres, de définir quelques priorités, souvent emportées par d’autres urgences.
Le Conseil européen est quant à lui presidé de manière permanente par le transparent Herman van Rompuy. Néanmoins selon les pays et selon certaines configurations de postes, une présidence peut devenir une véritable source d’impulsion.
Une configuration favorable
La configuration pour la Pologne est particulièrement favorable. Il s’agit de la première présidence du plus gros des nouveaux Etats membres. Le président du Parlement Européen, Jerzy Buzek, est un Polonais. Les discussions concernant les nouvelles perspectives financières 2014-2019/2021 s’intensifient et justement, le commissaire en charge du budget, Janusz Lewnadowski, est également polonais ! De plus, le gouvernement est entré dans une grande phase de rapprochement avec l’Allemagne, un partenaire essentiel.
Les autorités polonaises insistent elles-même beaucoup sur « l’optimisme » qu’elles vont tenter d’insuffler. En ce sens, il faut comprendre qu’une augmentation du budget de l’UE sera activement recherchée et que l’utilisation de la méthode communautaire sera privilegiée, incluant toutes les institutions. Conformes à leur habitudes, les Polonais déverseront une pluie de symboles pour défendre leurs positions, notamment l’histoire du syndicat « Solidarité ».
Ce qui se joue derrière les priorités affichées
La première des priorités sera un renforcement de l’intégration européenne. « Si l’Europe veut être compétitive à l’échelle mondiale, elle ne peut pas se contenter de réformer les finances publiques et de limiter le déficit budgétaire. » Les futures perspectives financières seront ainsi au coeur des discussions. Bien sûr cette mise en avant n’est pas une coïncidence. La Pologne est la première bénéficiaire des aides européennes... Mais elle intervient à un moment où tous les Etats semblent ne plus voir dans l’Union des solutions et souhaitent limiter son budget. Les fédéralistes peuvent se réjouir.
Dans le cadre de la relance du marché unique, la Pologne entend rendre prioritaire le soutien aux petites et moyennes entreprises. Les grands groupes présents en Pologne sont en effet souvent d’origine étrangère (Carrefour, France Télécom, Hochtief, un groupe chinois pour la construction des autoroutes, etc.).
La deuxième priorité essentielle concerne la sécurité énergétique. Comme beaucoup de ses voisins, la Pologne souhaite devenir moins dépendante des livraisons de la Russie. Derrière cette priorité se cache le projet d’exploiter le gaz de schiste, en quantité immense dans le sous-sol du pays. En raison des risques considérables pour l’environnement liés à de nouvelles techniques d’extraction, la France a pour l’instant suspendu toute exploitation.
Le gouvernement polonais, au contraire, en a fait une priorité nationale, invitant des companies américaines specialisées. Ils devraient également favoriser le développement du nucléaire, autre sujet très controversé au niveau européen.
Se faisant violence, le gouvernement place la coopération avec les Etats arabes « liberés » au même niveau que le traditionnel partenariat oriental. Alors que la République Tchèque et la Hongrie se concentraient sur leur région, la Pologne apparaît pragmatique et ambitieuse sur le plan international. Elle compte également profiter du récent rapprochement avec la Russie, favorisé par le dramatique crash de Smolensk.
Pour résumer, beaucoup de bonnes idées, du bon sens et la question sensible de la sécurité énergétique. De manière un peu paradoxale, la Pologne, en défendant souvent ses propres intérêts, défend en realité un intérêt général européen que l’on avait presque oublié. Espérons que tout cela ne reste pas sur le papier.
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