Le « rêve européen » de Jeremy Rifkin

ou comment l’Europe se substitue peu à peu à l’Amérique dans notre imaginaire

, par David Soldini

Le « rêve européen » de Jeremy Rifkin

Futurologue, scientifique, sociologue, politologue ? Difficile de définir Jeremy Rifkin. Après avoir annoncé (ou souhaité ?) la fin de l’ère du pétrole, la fin du travail, l’enseignant américain s’est posé la question de l’avenir de la civilisation occidentale en analysant (ou en espérant ?) l’avènement du rêve européen, amené à se substituer au rêve américain dans notre imaginaire.

La thèse de Rifkin est la suivante : le rêve américain n’a plus de sens aujourd’hui puisqu’il risque de nous amener au bord de la destruction, économique, écologique, civilisationnelle. Il est en passe d’être remplacé par un autre rêve, celui européen, fondé davantage sur le respect de l’humain, mais aussi de l’écologie, et qui réussit à conjuguer progrès et protection des valeurs fondamentales de l’homme.

L’Europe représente le seul endroit où les hommes consciemment travaillent pour le renforcement de ce modèle de civilisation. Ce rêve n’en demeure pas moins universel, d’où la naissance d’un nouveau siècle des Lumières. Ainsi, l’Europe n’est pas seulement le seul avenir possible pour les Européens mais pour le monde entier.

Difficile de ne pas donner raison à Rifkin. Reprenant les thèses d’un autre auteur américain Robert Kagan, qui voit dans l’Union européenne une puissance kantienne et donc humaniste, s’opposant à la vision hobbesienne, fondée sur la puissance, véhiculée par États Unis, Rifkin, contrairement à Kagan, considère la vision européenne comme une force et non une faiblesse. Une force magnifiquement illustrée par l’universalisme du rêve européen.

Pourtant, si sur le fond cet éloge de la « mitezza », c’est à dire de la douceur, de l’empathie, flatte les Européens il oublie peut être l’essentiel, c’est à dire la cause, l’origine profonde de cette évolution. Certes la nécessité de préserver la planète, de rendre le développement durable, de préserver l’homme sont des impératifs auxquels l’homme kantien, capable d’entrevoir ces devoirs moraux, se plie volontiers et facilement.

Mais alors pourquoi l’Europe ? Pourquoi cette évolution n’est pas présente dans les autres continents et surtout en Amérique ? Comment expliquer aussi cette évolution au sein même d’une Europe dont l’histoire est le simple récit de guerres et de conflits entre Etats pour affirmer leur puissance, au grand dam du bien être et de la paix. Pourquoi l’Europe apparaît aujourd’hui comme un espoir de paix universelle ? A cette question Rifkin ne répond pas directement. C’est peut être la vraie faiblesse de son exposé brillant et très documenté.

L’Europe, comme le montre l’échec récent de la Constitution, que Rifkin illustre dans son livre et qu’il avait ardemment défendu, ne tombe pas du ciel, elle ne va pas de soit. C’est une construction volontaire, fondée sur la croyance en la politique.

La construction européenne n’est pas ancrée dans les gènes des Européens, encore moins dans celles des Etats nations qui la composent. Elle est le résultat d’un effort, parfois brutal, pour sortir l’homme d’un état d’abrutissement que l’idolâtrie nationaliste a poussé au paroxysme.

Et cette construction est fragile, tout comme l’homme reste fragile, non pas parce qu’il fait partie de cette communauté de souffrance que Rifkin aime décrire, mais parce que la ligne qui sépare l’humain du bestial ne sera jamais infranchissable et clairement tracée.

Alors plutôt que de s’extasier sur ce que l’Europe peut ou pourra représenter, il s’agit de travailler ardemment et consciemment pour faire en sorte que l’Europe continue son chemin, qu’elle ne s’arrête pas pour reculer.

Ce que l’Europe peut le plus apporter au monde ce ne sont peut être pas ses valeurs, mais bien la croyance profonde que grâce à des institutions, grâce à la politique, grâce à la raison, il est possible d’unir des peuples qui se sont haïs pendant des siècles. L’Europe montre au monde les vertus du fédéralisme, les possibilités inépuisables du point de vue de l’établissement de la paix et de la préservation du bien être qu’offre un modèle politique complexe comme celui qui est en germe dans notre continent.

Et ce que nous montrent les évènements européens récents c’est que rien n’est joué d’avance. Oui, « le rêve européen mérite que l’on vive pour lui », mais surtout il mérite que nous nous efforcions de le réaliser, au plus vite, en Europe et dans le monde, et pour cela il faut recommencer à parcourir avec conviction la voie de la construction fédérale de l’Europe et abandonner définitivement les illusions néfastes du nationalisme triomphant.

Vos commentaires
  • Le 12 janvier 2008 à 13:57, par Cassuto En réponse à : La fin d’un rêve européen

    Voici un article que j ai récemment écrit et qui pourrait modestement participer au débat.

  • Le 11 juin 2012 à 13:40, par Craig Willy En réponse à : Le « rêve européen » de Jeremy Rifkin

    Ces éloges aux modèles sociaux européens, aux systèmes de santé, à la sobriété environnementale, sont convaincants et mérités.

    Mais ce que me frappe chez ces Américains europhile (Rifkin et Steven Hill notamment), c’est que leurs compliments sont principalement envers des facteurs qui n’ont rien avoir avec l’Union européenne. Sur le social et l’environnement, c’est le mode de vie européen et le développement national qui ont été déterminants, et non les directives bruxelloises.

    Ils ont tendance à mélanger les deux : europhilie au sens « mode de vie européen » et europhilie dans le sens intégration. Cette intégration justement est parfois - avec la pensée unique libérale, l’ordolibéralisme de la BCE, la privatisation à outrance, les plans d’austérité/de « sauvetage », la précarisation du travail - un facteur d’américanisation de l’Europe.

Vos commentaires
modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom