Eurafrique

La coopération entre l’Union européenne et l’Union africaine au Darfour :

Première partie : Un partenariat exemplaire pour la paix en Afrique ?

, par Marie Molinié

La coopération entre l'Union européenne et l'Union africaine au Darfour :

« Au Darfour, de nouveaux combats menacent l’accord de paix ». Tel est le titre d’un article récemment publié dans le quotidien « Le Monde » le 29 juillet dernier. Un texte qui fait référence à l’accord de paix signé en mai dernier entre le gouvernement soudanais et une partie des factions rebelles. Lesquelles ayant pris les armes pour faire reconnaître les droits du Darfour auprès du pouvoir central de Khartoum.

Depuis février 2003, la situation au Darfour se résume à violations des droits de l’homme, vols, pillage, viols, meurtres, exactions. Depuis 2004, l’actualité du Darfour oscille entre négociations ajournées, accords obtenus mais immédiatement violés.

L’histoire du Darfour est celle d’une province du Soudan oubliée du gouvernement central qui, en février 2003, décida de prendre les armes pour faire valoir ses droits auprès de Khartoum. De tout temps, sous la colonisation (et même une fois acquise l’indépendance...), les populations du Darfour ont été négligées par le pouvoir central soudanais : aucune administration, seulement quelques écoles, quelques centres médicaux, sans parler des fonds promis jamais débloqués ou détournés avant leur utilisation !

C’est pour rompre avec cette tradition que deux mouvements rebelles, le « Mouvement de Libération du Soudan » (SLM) et le « Mouvement pour la Justice et l’Egalité » (MJE) ont pris les armes contre Khartoum. La réponse de la capitale ne se fera pas attendre. Afin de mater la rébellion, le gouvernement soudanais enverra sur les populations Noires du Darfour ses milices Janjawids. Ces milices arabes, aidées des forces gouvernementales, sont aujourd’hui responsables de la mort de 300 000 personnes. Plus de deux millions d’autres sont déplacées. Nous ne comptons plus les réfugiés...

Dans son rôle de gardien de la paix et de la sécurité internationales, l’ONU fut la première organisation à sensibiliser les acteurs internationaux à la question du Darfour. Dès le mois d’avril 2004, son secrétaire général, Monsieur Kofi Annan, appelait la communauté internationale à agir en faveur des populations victimes d’exactions. L’Union européenne, acteur s’affirmant de plus en plus sur la scène internationale, répondit positivement à l’appel lancé. L’Union européenne, qui était déjà intervenue en Afrique à la demande de Kofi Annan, allait de nouveau pouvoir prouver son engagement en faveur de la pacification du continent africain.

Toutefois, contrairement au cadre d’action choisi lors de sa première intervention, en République Démocratique du Congo, l’UE allait devoir accepter le rôle d’acteur « secondaire » du retour à la paix. Afin de respecter le principe phare de son action en Afrique, l’appropriation africaine, l’UE acceptait d’occuper la place d’acteur de soutien en fournissant à la première mission africaine de maintien de la paix sous l’égide de l’UA, un appui financier, diplomatique, logistique et dans une moindre mesure, capacitaire. Les Européens s’engageaient à aider leurs partenaires de l’UA à rétablir la paix au Darfour, pas à imposer la paix en leur lieu et place. Ils allaient ainsi alimenter en hommes et en moyens l’AMIS, African Mission in Sudan.

L’AMIS et le soutien qui devait lui être apporté représentaient ainsi un double test. Cette mission africaine de maintien de la paix allait tout d’abord permettre de juger de la capacité de l’Union africaine à restaurer la paix sur le continent ; de ses facultés d’imposer aux belligérants la voie du dialogue politique plutôt que la voie des armes.

Quant à l’Union européenne, cette première mission de soutien allait la placer face aux défis qu’il lui reste à surmonter pour devenir un acteur crédible au service de la paix. Cette mission l’amène aujourd’hui à se poser la question, au-delà de son ambition sur la scène internationale, de son aptitude à peser voire à exister réellement en tant qu’acteur de paix. L’Union n’a-t-elle pas été trop ambitieuse dans ses prétentions pacifiques ? Peut-elle raisonnablement, alors qu’elle souffre d’un manque de capacités militaires et qu’elle ne parle que très rarement d’une seule voix, espérer contribuer à la pacification d’une zone de conflit ?

Une forte volonté européenne en faveur de la paix en Afrique

La justification première de l’implication de l’UE en Afrique, au-delà de la gestion d’une grave crise humanitaire, est la volonté de l’UE de nouer un véritable partenariat politique avec l’Afrique. Selon l’UE, ce rapprochement procède d’un solidarité naturelle justifiant un partenariat de fait entre ces deux organisations régionales. Au plan politique et institutionnel, l’UA se construit sur le modèle de l’UE, elle a choisi d’agir en faveur de la paix et de la prospérité en se dotant en 2004 d’un Conseil de Paix et de Sécurité, tout comme l’avait fait la CEE dès 1957. L’Europe s’intéresse depuis ses débuts au développement du continent africain. C’est en raison de cette similitude des objectifs et aspirations que l’UE justifie un devoir naturel d’aider l’Afrique. La stabilisation du continent africain est reconnue comme condition préalable à un développement économique durable et au respect des principes démocratiques et des Droits de l’homme.

Les justifications au principe de l’appropriation africaine sont multiples même si elles relèvent de façon globale d’une certaine réticence de la part des Etats membres à intervenir militairement en Afrique. Pour certains d’entre eux, cela s’explique par le poids de l’histoire et leur passé colonial, pour d’autres, c’est le peu de capacités disponibles face à des besoins immenses qui constituent le principal obstacle. Pour d’autres enfin, l’Afrique ne présente aucun intérêt historique, géographique ou stratégique, et ne justifie donc aucunement que l’UE s’y investisse militairement. La politique de l’UE en Afrique s’appuie ainsi sur un équilibre entre non-ingérence et non-indifférence. Il existe une volonté commune de voir les Etats africains jouer un rôle moteur dans la prévention et le traitement des crises et, parallèlement une volonté de soutenir cette implication.

Une approche originale en matière de maintien de la paix

L’Union envisage le maintien de la paix en abordant une approche autre que la simple approche militaire. Selon l’Union, le retour à la paix ne se fait pas uniquement par recours à la force mais procède davantage d’une politique de prévention visant à combattre à la source les causes, structurelles et conjoncturelles des conflits. L’UE insistera donc plus sur la prévention que sur le traitement des crises et priorisera, dans la mesure du possible, le civil sur le militaire. Elle se distingue en cela d’une logique d’action beaucoup plus « dure » qu’est notamment celle des Etats-Unis et de l’OTAN. Ces derniers préférant plus généralement l’outil militaire au dialogue. Le facteur économique jouant un rôle important dans le déclenchement des crises, l’Union va concevoir sa politique de maintien de la paix en mettant en œuvre des programmes de développement économique.

En outre, au-delà de l’aspect aide économique, actuellement régie par les Accords de Cotonou de juin 2000, l’Union s’efforce de nouer un dialogue politique avec les Etats africains afin d’encourager la promotion de la démocratie, de l’Etat de droit et le respect des libertés fondamentales. Elle veille ainsi à l’évolution de la situation des Etats africains par le biais d’indicateurs de crise de sorte à pouvoir agir le plus rapidement et le plus efficacement possible en cas de troubles.

L’action de l’Union porte donc sur la prévention des conflits en s’attaquant à leurs causes profondes, en soutenant les initiatives locales de développement et de promotion de la démocratie, sur la gestion de crise par une intervention lors des phases aiguës des conflits, en appuyant les efforts déjà déployés, en aidant à la consolidation de la paix et à la reconstruction du pays. C’est cette définition globale du maintien de la paix qui singularise l’action de l’Union en termes de maintien de la paix.

Autre originalité de l’Union européenne : le cadre dans lequel elle agit sur la scène internationale. Comme évoqué plus haut, l’UE agit selon la logique d’un « multilatéralisme efficace ». Elle n’agit pas unilatéralement mais veille plutôt à ce que son action soit coordonnée avec celle des autres acteurs présents. Qu’il s’agisse de l’ONU, de l’UA ou des organisations sous-régionales africaines, le principe est toujours le même : travailler de concert, en appuyant les efforts déployés et ce de façon coordonnée afin d’éviter tout doublon.

L’objectif visé étant bien sûr une plus grande efficacité de l’action menée. L’Union agit à la demande et sous l’aval des Nations Unies, n’impose pas mais propose ses solutions aux organisations partenaires et met tout en œuvre pour leur permettre de mener à bien leur action.

C’est cette approche qui vaut aujourd’hui à l’UE une certaine reconnaissance [à défaut d’une reconnaissance certaine] sur la scène internationale, qui explique que l’ONU fasse appel à elle pour assumer ou appuyer une mission de maintien de la paix.

L’aide de l’UE à l’AMIS : des moyens considérables

Un soutien opérationnel

A la différence de sa première mission en Afrique, l’opération Artémis précitée, l’UE n’a pas envoyé d’hommes en armes au Darfour. Les raisons en sont multiples. L’UE n’en avait pas forcément les moyens et surtout, une telle solution était totalement rejetée par le gouvernement soudanais, qui a toujours refusé la présence sur son sol de troupes étrangères. L’UE est intervenue de diverses façons afin de résoudre la crise au Darfour.

Dès le début de la crise, l’UE s’est fortement investie diplomatiquement pour qu’un embargo soit décidé au niveau des Nations Unies sur la vente d’armes à destination du Soudan La résolution 1556 précitée déclare un embargo sur les armes à destination du Soudan. En janvier 2004, elle a également adopté un embargo sur la vente d’armes en interne . Puis elle proposa des sanctions contre les auteurs d’exactions en décembre 2004. C’est notamment sous la pression de l’Union européenne que le Conseil de sécurité décidera de renvoyer le dossier du Darfour devant la Cour Pénale Internationale afin de faire juger les auteurs de crimes de guerre.

L’UE s’est par ailleurs investie dans des efforts de médiation. Elle a en effet participé à de nombreuses réunions entre les rebelles et le gouvernement de Khartoum. Solana est allé à la rencontre des autorités soudanaises et les Etats membres ont nommé un représentant spécial de l’UE au Darfour, le Finlandais Pekka Haavisto. C’est l’UE qui assume la vice-présidence de la Commission de cessez-le-feu et participe à la mission d’observation de l’UA. En août 2004, l’UE a réalisé une mission d’enquête pour évaluer le support nécessaire au déploiement de l’AMIS.

L’Union a donc entrepris des démarches avant tout diplomatiques pour résoudre la crise au Darfour. Cela reflète en réalité les capacités d’action de l’Union. Aujourd’hui, l’UE est davantage prête à agir par la voie diplomatique et politique que par la voix militaire. A supposer que le gouvernement soudanais ait accepté des forces non africaines sur son sol, il n’est pas certain qu’une opération militaire de l’UE eut été décidée. Les Etats membres, fournisseurs du contingent européen, n’étaient pas en mesure de fournir des hommes. La Grande-Bretagne est investie en Irak et en Afghanistan, la France épuise une bonne partie de ses forces en Afrique et notamment en Côte d’Ivoire. Raisonnablement, l’envoi de troupes européennes aurait été impossible. Et ce d’autant plus que l’UE ne disposait pas des capacités militaires nécessaires.

L’Union s’est enfin impliquée au sein de l’UA en aidant le quartier général de l’UA à la planification de sa mission de maintien de la paix au Darfour.

Les Européens sont donc intervenus par la voie diplomatique en évoquant la possibilité de sanctions, en décidant d’un embargo sur les armes à destination du Soudan et en proposant leur médiation. D’un point de vue militaire, l’UE n’est pas intervenue par le biais de contingents mais plutôt par ce qu’on pourrait appeler un soutien militaire « théorique ». L’Union a en effet envoyé des experts militaires sur place afin de conseiller et d’aider les personnels de l’UA, elle a organisé et participé à des missions d’enquête et d’évaluation, a apporté son expertise pour la planification des opérations de l’UA et a parfois organisé des transports de troupes.

La mission de conseil et d’échange d’expérience a donc supplée à une mission militaire stricto-sensu.

L’action diplomatique de l’UE en vue de restaurer la paix au Darfour a donc été importante. Elle n’est toutefois que peu de choses en comparaison des moyens financiers que va déployer l’Union européenne pour asseoir l’existence, l’efficacité et la crédibilité de l’AMIS.

Un soutien surtout financier

La Facilité européenne pour la paix en Afrique a été créée en novembre 2003 par le Conseil. L’objectif était d’apporter un appui européen à la mise en œuvre de la politique africaine de maintien de la paix en renforçant les capacités de l’UA et des organisations sous-régionales à planifier et conduire les opérations de paix sur le continent africain.

En février 2006, la Facilité de paix avait financé l’AMIS I et l’AMIS II à hauteur de 212 millions d’euros. 50 millions supplémentaires viennent d’être alloués à l’UA. Au total, en tenant compte de l’argent versé par la Facilité de paix pour financer l’AMIS et de celui versé par ECHO, ce sont plus de 600 millions d’euros que la Commission européenne a donné à l’UA pour le Darfour.

Le soutien apporté par l’Union européenne à l’AMIS a été - comme nous l’avons mentionné - de diverses natures. Essentiellement financier, l’engagement de l’UE a également été logistique et diplomatique : l’Union européenne tentant par cette voie d’obtenir le respect des principes élémentaires en matière de Droits de l’homme.

Cependant, malgré le niveau d’investissement que fut celui des Européens et en dépit du dévouement des officiers africains, les résultats aujourd’hui affichés par l’AMIS ne sont pas des plus encourageants. Ils sont plutôt maigres : en effet - malgré l’accord de paix signé le 5 mai 2006 - le calme n’est pas revenu au Darfour et, pire, les massacres perdurent ...

- Illustration :

Le visuel d’ouverture de cet article est une carte du Soudan tiée de l’Encyclopédie en ligne wikipédia.

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Vos commentaires
  • Le 26 septembre 2006 à 14:32, par Ronan Blaise En réponse à : La coopération entre l’Union européenne et l’Union africaine au Darfour :

    Et juste préciser qu’en cette fin septembre 2006, l’Union africaine a finalement - après bien des atermoiements - récemment décidé du maintien de sa force internationale d’interposition actuellement déployée au Darfour.

    Une décision (saluée par le Soudan et par la communauté internationale) qui permet d’éviter - pour le moment tout du moins - le déploiement prévu (décision onusienne du mois d’août dernier mais décision fort controversée puisque catégoriquement rejetée par les autorités officielles soudanaises...) de Casques bleus dans cette région du Soudan occidental actuellement en proie à la guerre civile entre forces rebelles et forces du gouvernement central de Khartoum.

    Toujours est-il que de nombreuses voix se font aujourd’hui entendre pour déplorer l’absence de réaction internationale à la mesure du drame qui se déroule aujourd’hui au Darfour : exprimant là (tel, récemment encore, Mgr Desmond Tutu : Prix Nobel de la Paix 1984 et ancien archevêque anglican du Cap...) la crainte que les événements qui s’y déroulent aujourd’hui ne conduisent à une réédition, dans cette région, du génocide du Rwanda.

    Lequel génocide, alors survenu durant l’été 1994 (avril -> juillet 1994), avait fait près de 800 000 morts : hutus et tutsis modérés. (Nb : l’actuel conflit du Darfour ayant sans doute déjà fait à l’heure actuelle près de 300 000 victimes...).

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