L’inutilité des ambassades au 21° siècle… et ses leçons pour l’unité africaine 2/2

, par Jean-Paul Pougala

L'inutilité des ambassades au 21° siècle… et ses leçons pour l'unité africaine 2/2
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La France imprévisible

Pour solutionner son problème de corruption de ses diplomates, c’est la France qui va prendre une solution radicale et complètement imprévue : en Chine, elle va tout simplement confier la section des visas à l’Etat chinois, à travers une entreprise publique qui s’appuie sur la police chinoise pour rendre efficace le travail que lui a confié l’Etat français. C’est en tout cas ce que nous dévoile Franck Renaud dans son livre enquête sur les dessous de la vie des ambassadeurs, intitulé Les Diplomates et publié en juin 2010 aux Editions Nouveau Monde.

Cela peut sembler complètement ahurissant, surtout lorsqu’on voit les politiciens français parler de la Chine comme le monstre à détruire. Et tout cela s’est fait sous la présidence Sarkozy, au même moment où ce dernier menaçait de ne pas aller aux Jeux Olympiques de Pékin, dans ce pays dictatorial qui ne respecte pas les droits des hommes, tant que le peuple tibétain n’aurait pas eu sa place dans le dialogue paritaire avec Pékin. Et on découvre sur le terrain que cette même France avec ce même président a tout simplement renoncé à la souveraineté française pour l’octroi des visas d’entrée sur son territoire, pas au profit d’un autre pays de l’Union européenne, pas au profit d’un autre pays de la zone Schengen, mais au profit de ce pays qu’on a insulté de tous les noms et qui a valu à la France 2 ans de mise à pied de la part de la Chine, révoquée après de nombreux voyage de supplication de Jean Pierre Raffarin à l’Empire du Milieu. Un prestige au service du clientélisme

L’Italie

L’Italie paye chaque année pour ses 325 ambassades et consulats à l’étranger, la somme de 1,7 milliards d’euros (1.115 milliards de Francs CFA par an). Qu’est-ce que cette somme ainsi investie rapporte au pays le plus endetté de toute l’Europe avec une dette publique de 1.950 milliards d’euros (1,3 millions de milliards de Francs CFA), 4,8 fois la dette de tous les pays africains réunis. Une dette qui augmente chaque jour de 780 millions d’euros, c’est-à-dire qu’elle augmente toutes les 2 secondes d’environ 1 million d’euros (655,9 millions de Frans CFA par 2 secondes). Dans la folie de ce train lancé à grande vitesse qui se précipite droit dans le mur, il y a le scandale de la rémunération des ambassadeurs.

C’est le quotidien italien Il Fatto Quotidiano dans son édition du 10 décembre 2011 qui mettait le doigt sur la comparaison entre l’Allemagne et l’Italie et la corrélation entre leurs économies et leur diplomatie. Il en ressortait que l’Italie qui peinait à trouver de l’argent sur les marchés à un taux de 6%, lorsque l’Allemagne le trouve facilement à un taux de 1%, payait son ambassadeur à Berlin 2 fois plus cher que le salaire de la chancelière Angela Merkel. Ainsi, le journal italien nous informe que l’ambassadeur Michele Valensise nommé à Berlin par Silvio Berlusconi, dirige une équipe de 58 personnes, touche un salaire net de 20.000 €/mois, alors que Angela Merkel qui dirige la troisième puissance mondiale, avec 80 millions d’habitants touche un salaire de 9.072,43 €/mois. L’Ambassadeur en vaut 20, la Chancelière 9. Il s’agit d’un vaste réseau de pur clientélisme, où la diplomatie n’a rien à voir et qui profite aux familiers de politiciens, qui arrive jusqu’au paradoxe qui fait que le chauffeur de l’Ambassadeur d’Italie avec un salaire mensuel de 6.000 euros par mois gagne bien plus que le président de le Fédération de Russie avec ses 17 millions de km² qui touche seulement 4.860 €/mois (3,2 millions de Francs CFA/mois), bien que le pays croule sous le poids du gaz et du pétrole, révèle le journal italien. Et le Sénateur du Parti démocrate Claudio Micheloni, président de la Commission des Affaires étrangères du Sénat Italien qui s’insurge du fait que 0,1% de la richesse du pays soit engloutie dans une filière complètement inutile comme celle des diplomates avec la preuve la plus criante du clientélisme à l’intérieur de l’ambassade italienne de New Delhi en Inde où les amis, les frères et les amants de politiciens nommés depuis Rome touchent un salaire de 80.000 euros/an alors qu’un débrouillard italien qui n’appartient pas à la même caste et qui exerce exactement la même fonction, touche 6.000€/an, payé selon un contrat de droit indien. Et Micheloni de nous dire : « le plus grave dans tout ça c’est qu’on ne sait pas qui nomme qui ».

Un cafouillage infini

Pris dans le tourbillon d’un nouveau monde non maîtrisé, on assiste depuis une dizaine d’années à une forme de cafouillage indescriptible dans les ambassades. Des décisions non réfléchies ou non suffisamment mûries qui débouchent sur des résultats en complète contradiction avec les objectifs affichés. C’est Nicolas Lecaussin de la Fondation IFAP, ce Think Tank dédié à l’analyse des politiques publiques, à travers son rapport intitulé La diplomatie française, un rayonnement très coûteux met le doigt dans la plaie lorsqu’il dit dans sa conclusion que « la diplomatie française va à vau l’eau (…) Les ambassadeurs passent le temps à effectuer de meilleurs rapports et une fois achevés, ils les mettent de côté. » Il invite à ne jamais se contenter du site web des ambassades qui sont une merveille, mais qui cachent tellement de misère comme un mauvais film dit-il. Il cite enfin le diplomate Jean-Michel Dijinan qui nous fournit une preuve du cafouillage de la diplomatie française en ces termes : « A Lubumbashi, deuxième ville de la République démocratique du Congo, la France décide opportunément de créer en 2000 un poste d’attaché culturel adossé à la réouverture, en plein coeur de la ville, d’un centre fermé depuis dix ans. Deux ans de travaux et de négociations pour aboutir, en juillet 2003, à la fermeture d’un bâtiment entièrement rénové, disposant de 4.500 ouvrages neufs et qui aura coûté 170.000 euros. Avec, en prime, la suppression du poste d’attaché culturel ! »

Ambassades africaines accusées de blanchiment d’argent sale

C’est en fin septembre 2010 que la banque américaine JP Morgan envoie une lettre à 150 ambassades accréditées aux Nations unies à New-York pour leur annoncer la clôture de leurs comptes au 31 mars 2011. Si pour des pays comme la Russie, la Chine ou la France, ouvrir des comptes dans de nouvelles banques n’a pas été un problème, par contre la presque totalité des pays africains ont eu du mal à trouver une autre banque qui les accepte, transformant de fait la faiblesse qu’incarne l’absence de conception idéologique de la pléthore des ambassades africaines en condamnation effective. En effet, la lettre de JP Morgan n’inculpait aucune ambassade en particulier, mais puisqu’au final ce sont les ambassades africaines qui se sont vues refuser l’ouverture de nouveaux comptes dans d’autres banques, tout le monde a retenu par déduction que ce sont les Africains qui étaient le plus mis en cause. Et même l’intervention de l’Union africaine ou du Secrétaire général des Nations unies n’a pu rien faire. On a ainsi assisté à des situations terrifiantes où des ambassades africaines ont été privées d’électricité, d’eau et de gaz pour cuisiner dans les résidences des ambassadeurs ; des diplomates incapables de payer l’essence pour faire rouler leurs voitures pour se rendre au travail, des mises en demeures pour d’autres pour loyer impayés etc.

Les plus malins se sont fait prêter de l’argent par les familiers restés au pays dans des tontines et l’ont reçu par virement pour avoir juste de quoi faire manger leurs familles. Ces ambassades étaient-elles coupables de ces accusations de blanchiment d’argent ? La question a été posée au Secrétariat d’Etat américain qui n’a eu d’autre réponse qu’aux Etats-Unis, les banques sont privées et peuvent faire ce qu’elles veulent, c’est-à-dire condamner des pays parce que plus faibles, sans jugement et sans laisser la moindre possibilité de se défendre. Ce n’est pas l’administration américaine qu’il faut condamner, encore moins ces banques inquisitrices, mais les Africains eux-mêmes de n’avoir pas compris à quel jeu on joue et que l’ambassade d’un minuscule pays comme le Burundi, le Benin ou le Togo, n’aura jamais son mot à dire dans la moindre négociation s’il est incapable de faire plier une banque qui l’envoie littéralement mendier sur le trottoir.

Quelles leçons pour l’Afrique ?

A l’indépendance les Etats africains ont cru par erreur que ce qui valide l’existence d’un Etat, c’est sa présence avec des ambassades et des consulats dans les pays qui s’étaient organisés à Berlin en 1884 pour spolier le continent africain. Ce faisant, ils se sont lancés dans une concurrence déséquilibrée avec ces pays qui ne pouvaient que les transformer en pays subalternes receveurs de leçon au départ et d’injonction à l’arrivée venant des mêmes pays occidentaux. Peut-on dire que l’échange d’ambassadeurs entre le Niger et les Etats-Unis d’Amérique symbolise vraiment l’amitié paritaire entre les deux peuples ? Bien sûr que non. D’abord le prix du mètre carré du terrain à Niamey est 100 fois inférieur au prix à Washington, ce qui fait que même si le Niger avait le même niveau de vie que les Etats-Unis, il ne pourrait pas construire à Washington la même ambassade imposante que Washington fait à moindre frais à Niamey en imposant dans la psychologie du peuple nigérien le symbole de sa puissance et en obligeant ce dernier à se mettre à genoux avant même que d’imaginer quel genre d’amitié est possible entre un peuple américain qui est incapable de situer le Niger sur une carte géographique et les Nigériens qui n’ont que faire des beaux discours de circonstance qui ne changent en rien la dureté de leur vie.

Pire, tous les 50 Etats américains sont unis pour financer une seule et unique ambassade à Niamey, alors que 50 des 54 Etats africains payent l’exorbitant coût de 50 ambassades à Washington. Ce qui pénalise doublement et affaiblit définitivement toute image de sérénité et progrès humain qu’ils comptent envoyer au peuple américain dans ce rapport trop inégal, miné par cette division stupide. Une seule ambassade à Washington pour ces 50 Etats africains leur aurait donné une plus grande respectabilité et surtout tout le gaspillage restant aurait permis de construire toujours plus d’écoles, plus d’hôpitaux, plus de routes rendant la vie des population en Afrique moins un enfer. Je trouve cependant que même l’ambassade unique ne peut être une priorité et serait complètement inutile avant que toutes les dépenses ne soient pendant au moins 10 à 20 ans après les indépendances complètement dédiées à créer un début de richesse et un semblant de vie de normalité de la population. A défaut de rompre les relations avec les pays dans une diplomatie qui se transforme jour après jour en véritable mafia que l’Afrique a du mal à comprendre et donc à maîtriser, les pays africains doivent réussir l’exploit de repenser leur philosophie profonde de la convenance ou non d’entretenir des relations prétendument diplomatiques avec certains Etats et surtout, fermer toutes les représentations diplomatiques dans les différents pays africains pour les confiner à la capitale africaine qu’est Addis-Abeba. Parce que l’activité d’espionnage et de déstabilisation de certaines représentations diplomatiques jusqu’à l’armement des rebelles crées ad-hoc, doit faire comprendre aux Africains qu’il faut changer de registre : toutes les ambassades sans exception doivent être regroupées dans un seul et même périmètre à Addis-Abeba où l’entrée et la sortie sont tenues sous contrôle par le nouveau contre-espionnage continental africain à créer. Ce n’est que comme cela qu’on pourra éviter le scénario libyen ou syrien où une poignée de pays se fait appeler « Communauté internationale » et décide en fonction de l’ennui de ses ambassadeurs qui doit rester au pouvoir et qui doit partir. C’est à ce prix que certains pays étrangers qui se disent amis, ne manipuleront pas les 1 milliard d’Africains, ni en République Démocratique du Congo, encore moins au Mali, et surtout pas avec le thème piège des droits de l’homme. L’Union africaine doit avoir le pouvoir d’imposer des dimensions standard à toutes les ambassades, parce que ce n’est pas sur notre territoire en Afrique qu’une puissance étrangère doit venir exposer son faste à travers une ambassade ou autre chose. Car la symbolique aussi compte beaucoup.

Et dans tous les cas, la nouvelle configuration s’impose à toutes les nations du monde dans la conception même des relations internationales et de la gestion administrative ou politique de ce qui en découlera, ce qui oblige l’Afrique à parler d’une seule voix, sans laquelle elle devient très vite inaudible et fragile. Les Etats-Unis d’Afrique doivent être une priorité à l’entrée du continent dans le cercle des nations, sans cela, l’état lamentable de nos ambassades restera la vraie et seule carte de visite de notre crédibilité aux yeux du monde. Une seule représentation diplomatique dans chaque groupe de pays est une nécessité financière. L’Afrique doit disposer d’une seule et unique ambassade pour toute l’Union européenne, c’est-à-dire à Bruxelles. Cette rationalisation permettra de libérer des ressources que nous utiliserons pour améliorer la vie de nos citoyens.

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