Des valeurs fondatrices sont en jeu à Bruxelles

, par Pierre Henry

Des valeurs fondatrices sont en jeu à Bruxelles

Entrainée par l’émotion légitime suscitée par le drame des derniers naufragés de Lampedusa, l’immigration s’est invitée au sommet des 24 et 25 octobre à Bruxelles avec un objectif : éviter les noyades en masse et à répétition aux frontières sud de l’Europe. Parfait ! Mais malgré les déclarations de bonnes intentions, il semble que seules les vieilles recettes vont ressortir du chapeau de cette rencontre pour le même et sombre résultat : des morts encore et par centaines, sans doute plus sous nos yeux, mais toujours à nos portes.

Les États membres qui, à l’image de la France, plaident pour une révision de toute la stratégie migratoire de l’UE avec les pays de la rive sud, sont trop minoritaires pour qu’une réforme –pourtant urgente et nécessaire - soit envisagée. Dommage, car c’est bien là qu’une solution durable réside, et non dans une surenchère de surveillance aux frontières. Pourtant, avec la mise en œuvre du nouveau système de surveillance, Eurosur, c’est Frontex, l’agence en charge de la sécurité aux frontières extérieures de l’Europe, qui sera renforcée.

Il est sans doute vrai que soutenue dans ses missions par un meilleur partage d’informations - c’est ce que propose ce très sophistiqué et couteux dispositif Eurosur (244 millions d’euros à l’horizon 2020) – Frontex pourra mieux organiser les sauvetages des bateaux en détresse. Mais de quelle façon de sauver parle-t-on ?

L’Agence, très décriée pour son coût (85 millions d’euros annuels) et son opacité, l’est aussi pour une carence majeure : elle renvoie des personnes interceptées en mer vers leur lieu d’embarquement ou des pays tiers, sans se préoccuper de savoir si, persécutées dans leur pays, elles viennent ou non demander l’asile en Europe. Ces refoulements sont des manquements aux principes relevant des droits fondamentaux et rien ne dit qu’ils cesseront avec la mise en œuvre d’Eurosur. Or sauver un réfugié, ce n’est pas organiser son refoulement.

Sauver ce n’est pas non plus, comme beaucoup d’Européens tendent à le penser, empêcher les migrants de prendre la mer. L’équation « pas de départs, donc pas de noyades » paraît simple, pourtant sauver ce n’est pas retenir à terre. Des côtes plus surveillées, ce sont des routes migratoires réinventées pour échapper aux gardes-frontière et aux radars ; elles sont chaque fois plus dangereuses et toujours plus mortifères. Et la menace d’une mort en mer n’a jamais dissuadé les migrants de tenter l’aventure.

Il faut en effet garder à l’esprit que parmi tous les migrants qui embarquent – beaucoup fuient la guerre, la répression. Les corps des naufragés d’octobre à Lampedusa ont parlé : beaucoup étaient Syriens, la majorité fuyait l’Érythrée et son régime des plus autoritaires, connu pour retenir au moins 10 000 prisonniers politiques.

Une surveillance renforcée ne dissuadera jamais ces gens, Syriens, Erythréens, mais aussi Soudanais qui n’ont que leur peau à sauver, de la risquer en mer. Elle renforcera en revanche les juteux trafics d’êtres humains qui alimentent des achats d’armes et l’insécurité. Elle couronnera aussi le beau tour des industriels de l’armement trop heureux de trouver dans les niches financières européennes dédiées à la sécurité de quoi alimenter des budgets militaires en baisse. De là à se demander qui conduit - des industriels ou des gouvernements - la très sécuritaire politique migratoire de l’Europe, la question mérite d’être posée.

L’urgence est de savoir s’il existe une autre manière de sauver. Oui, si l’on pense que sauver c’est assurer une protection aux personnes qui craignent pour leur vie. Alors il faut, au-delà de l’impératif respect de la règle de non-refoulement, créer un couloir humanitaire en mer pour assurer une arrivée à bon port aux migrants. S’engager à cela suppose que des moyens suffisants soient déployés à terre, dans les pays les plus exposés aux arrivées, Italie, Grèce, Espagne, Malte... Il s’agit d’offrir des conditions d’hébergement décentes aux réfugiés, le temps de pouvoir étudier - dans de courts délais - leur situation et de répartir les personnes acceptées à l’asile entre les 28 États membres.

Pour sauver les réfugiés de la double peine de mort - la menace dans leur pays, la noyade aux portes de l’Europe - et renouer avec ses valeurs fondatrices, l’UE doit réorienter les budgets qu’elle consacre - sans résultats notables - à renforcer ses fortifications, vers la protection des réfugiés, l’intégration des migrants et le renforcement des actions de développement dans les pays d’origine.

Il ne s’agit évidemment pas de remettre en cause la sécurité aux frontières mais d’y ajouter les volets solidarité et protection - non refoulement, examen des demandes d’asile - qui manquent cruellement à la politique migratoire Européenne. Si le 24 et 25 à Bruxelles l’UE à 28 se contente de passer de Frontex à FronteXXL, c’est un naufrage moral que nous aurons à déplorer.

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