Comme on l’aura donc très bien compris, l’année « 2006 » ce n’était pas seulement l’ « Année Mozart », c’était aussi l’année durant laquelle l’Autriche - la « République alpestre » - allait assumer pour la deuxième fois de son histoire [1], durant le premier semestre 2006, la présidence tournante de l’Union européenne.
Une présidence autrichienne au combien importante pour le pays dans la mesure où, après les turbulences politiques du premier semestre 2000, l’Autriche avait semble-t-il une revanche à prendre sur le passé. Et d’autant plus qu’on sait alors très bien à Vienne qu’il faudrait désormais attendre 2019 pour peut-être voir l’Autriche à nouveau présider l’UE.
Or, ces derniers jours, alors que la présidence autrichienne touchait précisément à sa fin, le ministre des affaires étrangères allemand (soc-dem) Frank-Walter Steinmeier s’est permis, s’exprimant dans la presse autrichienne [2], de qualifier la présidence autrichienne du terme élogieux d’ ’’exemplaire’’. Qu’en penser ? Et qu’en est-il exactement ?
Une mission à haut risque
Tout avait semble-t-il assez bien commencé : en musique. Avec le fameux concert viennois du Nouvel An auquel le Chancelier autrichien Wolfgang Schüssel (Chancelier conservateur du parti chrétien-démocrate ÖVP) avait personnellement invité son homologue allemande Angela Merkel et le premier ministre slovène Janez Jansa.
Néanmoins, le contexte était bien difficile et l’atmosphère bien lourde. L’Union européenne sortait alors effectivement d’une année 2005 qu’on aurait très bien pu qualifier d’ ’’annus horribilis’’ de la construction européenne : rejet du TCE lors des référenda français et néerlandais de mai-juin 2005, crise budgétaire de l’UE, psychodrame de l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE. Bref : autant de sujets conflictuels qui ont alors paralysés l’Union européenne pendant de longs mois.
Et c’est donc à l’Autriche qu’il revenait alors de prendre la présidence d’une Union européenne décidément bien convalescente. Ce pourquoi le 1er janvier dernier, le quotidien de Vienne « Kurier » (centre-droit) se permettait de titrer qu’il s’agissait déjà là pour l’Autriche d’ ’’Une mission à haut risque’’.
Le Chancelier autrichien Wolfgang Schüssel voulant apparaître, avant les législatives à venir de l’automne 2006, comme un dirigeant prudent et sérieux néanmoins capable d’assumer pleinement la présidence de l’Union, il ne fut donc guère étonnant de voir alors les responsables politiques autrichiens faire singulièrement profil bas.
L’Autriche se présentant alors comme ’’un honnête travailleur’’ promettant de se ’’retrousser les manches’’ et de ’’se concentrer’’ avec sérieux et rigueur sur les ’’tâches’’ imposées par le calendrier communautaire... Et Mme Ursula Plassnik, ministre des affaires étrangères de l’Autriche, nous avait alors clairement prévenu : ’’Nous ne sommes pas des magiciens’’.
Priorité au social
Assumant la présidence de l’Union jusqu’en juin 2006, l’Autriche semblait donc vouloir essayer de faire oublier son image passée - teintée de xénophobie mal refoulée - en faisant du social sa priorité. D’autant plus que l’Autriche gardait un souvenir assez particulier de ses dernières sorties européennes...
Histoire de redonner du tonus à l’Union et le moral aux Européens, l’Autriche entendait donc faire du social la grande priorité de sa présidence. Souhaitant ainsi essayer d’avancer des propositions concrètes pour combler les déficits de l’UE en matière de protection sociale, de croissance et d’emploi.
Ce faisant, l’Autriche espérait notamment arriver à un compromis plus social sur le sujet au combien brûlant de la très controversée directive européenne de libéralisation des services, dite ’’directive Bolkestein’’ [3] : effectivement rééxaminée et retoquée par le Parlement européen en février dernier avant d’être formellement adoptée par le Conseil de l’Union, début mai.
Dans son agenda, l’Autriche entendait également limiter l’intervention de la bureaucratie bruxelloise et de la Cour de justice européenne, invoquant ici l’exercice du principe de subsidiarité. De même, on remarquera les efforts entrepris par la présidence autrichienne pour oeuvrer en faveur d’une plus grande transparence des débats se déroulant au Conseil de l’Union (tout du moins pour ce qui est des sujets soumis à la procédure de codécision...). Une démarche que l’on retrouve d’ailleurs dans le programme de la présidence finlandaise...
Le défi de l’élargissement
Autre défi de la présidence autrichienne : la question de l’élargissement de l’Union. A ce sujet, l’Autriche entendait accompagner l’entrée -prévue pour 2007 ou 2008- de la Roumanie et de la Bulgarie. Or on sait que la Commission européenne a, le 16 mai dernier, différé son avis sur la question au mois d’octobre prochain.
Et revanche, il convient de souligner que l’Autriche a réussi -dès octobre 2005- à obtenir de ses partenaires, dans le cadre d’un ’’projet de paix européen’’ visant à stabiliser les Balkans, l’ouverture de négociations d’adhésion avec la Croatie [4].
Et l’on se souviendra que, durant ce semestre de présidence autrichienne, de nouveaux accords de partenariats (i. e : ’’Accords de stabilisation et d’association’’, ASA) ont ainsi été négociés, conclus ou confirmés entre l’UE et certains pays des Balkans occidentaux (i. e : Albanie et Bosnie-Herzégovine), prélude à une future adhésion de ces pays à l’Union. Et ce, à l’exception notable de la Serbie-Monténégro, pour les raisons politiques que l’on sait.
Une présidence autrichienne également marquée, pareillement, par les toutes récentes initiatives italiennes du cabinet Prodi en ce mois de juin 2006 quant à la relance du partenariat euroméditerranéen via un système de coopérations renforcées dans le cadre de la ’’politique européenne de voisinage’’.
Néanmoins, on se souviendra pour le reste que, durant sa présidence, l’Autriche a bel et bien une nouvelle fois affirmée ses réticences sur l’idée d’une éventuelle adhésion de la Turquie à l’Union. Sujet au combien sensible en Autriche où la majorité de la population -toutes tendances politique confondues - rejette très nettement la perspective d’une adhésion de la Turquie à l’UE [5].
Et ce, notamment au nom d’une conception réactualisée et désormais plus restrictive de la fameuse ’’capacité d’absorption’’ de l’Union à l’égard des pays candidats à l’adhésion. (Sujet qui sera -nous dit-on dès à présent- l’un des thèmes centraux de la présidence finlandaise...).
Quid de la Constitution européenne ?
Enfin, sur le terrain difficile du dossier de la réforme des institutions communautaires (et de l’avenir constitutionnel de l’Union européenne...), l’Autriche a certes proposé une feuille de route sur l’avenir de la Constitution européenne [6]
Néanmoins, après six mois de discussions intergouvernementales, faute d’accord sur ce qu’ils pouvaient vraiment faire sur le texte, les dirigeants européens se sont [7] finalement mis d’accord pour étendre à 2007 voire 2008 l’actuelle ’’période de réflexion’’ décidée en juin 2005. Et ce, en espérant pouvoir - à terme - trouver les moyens de retrouver la confiance des citoyens. Et pouvoir alors relancer le débat, d’ici à 2009 au plus tard.
En attendant, à l’heure où la Commission européenne semble s’être prononcée (le 10 mai dernier) pour la mise en place d’aménagements ponctuels et modestes des traités actuels, il semble bel et bien qu’aucune discussion sur le sujet de la Constitution européenne n’aurait lieu d’ici à 2007.
Comme on le voit ici, ce sera donc à la future présidence allemande (du premier semestre 2007) et la ’’Kanzlerin’’ Angela Merkel de relancer vraiment la réflexion sur le sujet, et à la France (qui présidera l’UE au second semestre 2008), de probablement mettre en oeuvre les propositions tirées du rapport de fin de présidence qui sera alors présenté par l’Allemagne.
Un bilan somme toute mitigé
C’est donc un bilan tout de même somme toute assez mitigé que nous présente là l’Autriche, au terme de ce qu’il conviendrait là de désigner sous l’expression de ’’présidence de transition’’.
Une présidence autrichienne effectivement marquée par des résultats incontestables sur certains dossiers importants (on pensera ici tout particulièrement à la refonte de la directive services ou à l’élaboration de nouveaux standards environnementaux communautaires...).
Une présidence également marquée par des avancées notables sur certains sujets (on pensera ici à la stabilisation des pays des Balkans occidentaux), ainsi que par l’ouverture de certains chantiers d’avenir (on pensera ici aux projets de politique énergétique commune [8] ou à la mise en place de certains timides premiers dispositifs d’une encore bien hypothétique politique d’immigration commune [9]...).
Et certes, malgré la pause (panne ?) constitutionnelle et les incertitudes liées aux éventuels prochains élargissements, de nouveaux projets européens concrêts prennent forme. Et l’on peut sans nul doute compter sur la Finlande pour poursuivre le travail entrepris.
Mais néanmoins, pour ce qui est de la ’’grande question’’ européenne de ce début de siècle (i. e : la réforme des institutions communautaires, via l’actuel processus constitutionnel...) on ne peut qu’être franchement très déçu par le manque de dynamisme affiché et par le manque d’ambition affirmée lors de cette présidence. Ainsi que par l’absence totale de réalisations effectives véritablement produites sur le sujet, lors de cette finalement bien timide présidence autrichienne.
’’And we shout what about Europe united ?!’’.
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